Charles VI nait en 1368 à Paris, à l’hôtel Saint-Pol pendant la guerre de Cent Ans. Son père Charles V, qui meurt en 1380, est parvenu à reprendre une grande partie de ses territoires aux Anglais. Charles VI est sacré la même année, ses oncles assurent la régence puisqu’il n’est pas encore en âge de régner. Il épouse Elisabeth von Wittelsbach-Ingolstadt, (Isabeau de Bavière, 1370-1435), le 17 juillet 1385 à Amiens. À vingt ans, il remercie ses oncles et prend les rênes du pouvoir accompagné des conseillers de son père, connus sous le nom des « Marmousets ». Tout se présente sous les meilleurs auspices pour Charles VI jusqu’à l’épisode de la forêt du Mans le 5 août 1395.
L’épisode de la forêt du Mans, le début de la tragédie
Cet épisode est bien connu des historiens. Il marque le début de la maladie du roi qui propulse le royaume dans la guerre civile et permet aux Anglais de reprendre la guerre. Le roi part vers la Bretagne à la tête d’une troupe de chevaliers afin de confronter le duc de Bretagne qui soutient les Anglais. En chemin, il rencontre un homme qui attrape la bride de son cheval et lui dit « Arrête, noble roi, tu es trahi !». Sur ces mots le roi décide de continuer son chemin entouré de sa troupe, de son frère et de ses oncles. Toutefois il semble perturbé, mais il est fatigué, il fait chaud et il n’est pas bien remis de la fièvre qui l’a affaibli plusieurs jours avant le départ.
Soudainement un bruit, le claquement de la lance d’un écuyer sur le casque de son voisin, déclenche chez le roi une colère démesurée. Il sort son épée et attaque tous ceux qui se présentent sur son passage, il veut même occire son frère, le jeune Louis. Les récits des chroniqueurs diffèrent légèrement au sujet de cet épisode : chez Froissart il n’y a pas de morts alors que Michel Pintoin, auteur de la Chronique du religieux de Saint-Denis en annonce quatre. Le roi finit par casser son épée, Il est ceinturé, ficelé sur un chariot et on l’emmène se reposer en espérant qu’il ne meurt pas. Il reste trois jours sans connaissance et tout son entourage croit qu’il va mourir.

Les crises qui se suivent et se répètent
Le roi vient de subir sa première crise et toutes les prières de son épouse, les remèdes des médecins et des physiciens ne le guérissent pas. Les crises se succèdent avec des durées extrêmement variables. De quelques jours à plusieurs mois, le roi est « absent », et les crises se manifestent de différentes manières. Bernard Guenée, a longuement étudié la folie du roi en s’appuyant sur le récit de Michel Pintoin. Par ces recherches il est possible de se plonger dans le quotidien du roi et de son entourage. L’historien relève plus de cinquante-trois crises, en précisant que nos renseignements s’étiolent concernant la folie du roi vers les dernières années de sa vie et que nos sources ne permettent pas une fiabilité des informations. Michel Pintoin, auteur de la chronique le religieux de Saint-Denis, devient de moins en moins bavard au fur et à mesure des années. Toutefois, notre chroniqueur décrit avec précision les premières crises de folie de sa majesté.
Entre agitation et abattement
Les crises se manifestent de différentes manières et le roi peut présenter des moments d’agitation intense et des moments de profonde léthargie et de tristesse. En 1397, le roi sent la crise venir, il se sent partir et il demande que son couteau lui soit retiré. En 1398 il multiplie les gestes déplacés et se déchaîne : Il détruit tout ce qui l’entoure, les vases, les draps de son lit, les manteaux, les bottes. La crise dure 37 jours. Lors des crises il refuse de s’appeler Charles, puis il se nomme Georges et il gratte tous les insignes royaux pour les faire disparaître. Enfin il ne reconnait plus la reine qu’il chérit pourtant lorsqu’il est lucide. Elle tente de le consoler lorsqu’il est tapi dans le coin d’une pièce mais il la rejette et demande que cette femme soit ôtée. Il dit ne pas avoir d’enfants alors que la reine donne naissance à douze enfants entre 1386 et 1407, le dernier meurt à la naissance. Charles croit qu’il est en verre, qu’il va se casser et refuse la toilette, et le changement de ses draps. Il est couvert de poux, sale et il est alors décidé de l’attraper et de le laver de force. Cette crise dure plusieurs mois.
Les témoignages de ces épisodes de crises du roi laissent l’historien sensible à ce que le roi et son entourage ont vécu. Le roi est conscient de sa maladie et implore que Dieu mette fin à ses souffrances. La reine subit la violence de son époux qui la rejette et la bat, c’est pourquoi elle concède sa place vers 1407 à une certaine Odette, dont le roi s’est pris d’affection. La reine est en danger dans le lit du roi lorsqu’il est en crise, il faut la protéger. Cette dernière est très affectée par la maladie de son époux et tente de trouver des solutions. Elle voue un de ses enfants à dieu dans l’espoir de guérir le roi. La petite Marie naît en 1392, grandit au couvent de Poissy et devient prieure. Mais le roi reste malade et son entourage doit s’adapter aux crises régulières.
Folie et pouvoir : une première dans l’histoire de France
La folie du roi pose un problème majeur : il est inapte à tenir son rôle mais ayant reçu le sacre il est indestituable. La première crise en 1392 fait revenir les oncles au pouvoir et surtout le frère du roi, Louis d’Orléans. La mort du duc de Bourgogne, Philippe laisse la place à son fils Jean. Louis d’Orléans et Jean de Bourgogne s’opposent pour obtenir le pouvoir au plus près du roi. En novembre 1407, Louis d’Orléans (1392-1407) est assassiné par son cousin Jean de Bourgogne (1371-1419). Ce meurtre marque le début du conflit entre Armagnacs et Bourguignons. C’est le début de la guerre civile, qui dure jusqu’en 1435. La guerre civile et la folie du roi laissent le champ libre aux Anglais pour reprendre la guerre de Cent Ans.
La maladie de Charles a laissé la place aux différentes factions qui finissent par mettre le royaume dans les mains des Anglais. En mai 1420, est signé le Traité de Troyes qui stipule que le roi d’Angleterre devient roi de France à la mort de Charles VI. Henri V le roi d’Angleterre s’éteint en août 1422 et le roi de France le suit deux mois plus tard. Il ne reste plus qu’un enfant de quelques mois, issu du mariage de Catherine de France (fille du roi Charles VI et d’Isabelle de Bavière) et du roi Henri V pour diriger les deux royaumes. Le Dauphin, Charles (futur Charles VII) se débat pour sauver sa couronne. Il est finalement sacré en 1419 après le retour d’Orléans dans le giron Français.
La folie de Charles VI a conduit à une instabilité politique majeure laissant place à la guerre civile et au retour des Anglais. La maladie mentale du roi montre que l’on avait prévu des dispositions nécessaires dans le cas de la mort du roi quand le dauphin était mineur ou bien quand le roi était physiquement absent. Mais le cas de Charles VI ne s’était jamais présenté. Un roi présent par intermittence, chargé du pouvoir et indestituable. Les historiens et les psychiatres ont tenté de déterminer de quoi le roi avait pu souffrir. Les sources sont trop faibles et il serait hasardeux d’essayer d’établir un diagnostic plus de six cents ans plus tard. Toutefois les spécialistes s’accordent très souvent sur une bipolarité ou une schizophrénie qu’il transmet à son petit-fils, Henri VI d’Angleterre.
Noémie PICOT
Bibliographie
- Guenée Bernard, La folie de Charles VI, Perrin, Paris, 2016.
- Pintouin Michel, Chronique du Religieux de Saint-Denis (1380-1422), Editions Paléo, Clermont- Ferrand, 2008.
- Froissart Jean, Chroniques, Livre de poche, Paris, 2004.