ELISA ET MARCELA : L’UN DES PREMIERS MARIAGES HOMOSEXUELS
En ce mois des fiertés, nous célébrons de nombreuses dates qui ont marqué l’histoire queer, dont celle du 8 juin 1901. Ce jour-là, deux femmes nommées Elisa et Marcela se sont unies à l’église Saint Georges de la Corogne (Galice, Espagne). Il s’agit de l’un des premiers mariages homosexuels documentés de l’histoire d’Espagne et du monde. On surnomme cet évènement « le mariage sans homme » et, au début du XXe siècle déjà, l’histoire a fait grand bruit dans toute l’Espagne. Encore aujourd’hui, leur union est considérée comme l’un des piliers fondateurs des droits homosexuels en Espagne.
« LE MARIAGE SANS HOMME » COMMENCE PAR UNE AMITIÉ
Elisa Sánchez Loriga et Marcela Gracia Ibeas se sont rencontrées en 1885 à l’école où cette dernière faisait des études pour devenir institutrice tandis que la première y travaillait. Très vite, les parents de Marcela se sont rendus compte que leur amitié était intense ; elles ne supportent pas les absences l’une de l’autre, même pour une journée. Ainsi, Marcela a été envoyée par ses parents à Madrid, dans l’optique de la séparer d’Elisa et de la protéger. La distance ne dissipa pas leur amour. Dès que Marcela eut les moyens de rentrer en Galice, elles se voyaient le plus possible, Elisa allant même jusqu’à parcourir tous les soirs les onze kilomètres qui séparaient leurs habitations. Éventuellement, elles travaillaient suffisamment proches l’une de l’autre pour emménager ensemble, ce qui, à l’époque, n’était pas anodin pour deux institutrices célibataires. C’est à ce moment-là que leurs voisins ont commencé à suspecter que leur relation dépassait la simple amitié.
ELISA DEVIENT MARIO
Comme l’imposaient les traditions de l’époque, une jeune femme ne pouvait pas rester célibataire bien longtemps, et Marcela avait de nombreux prétendants souhaitant l’épouser. De plus en plus de jalousie naît au sein du couple. Les disputes publiques se multiplient, jusqu’à ce qu’en 1901, excédée par la situation, Elisa décide d’emménager à la Corogne. Ce choix est aussi motivé par le fait que cette ville portuaire permet un rapprochement avec sa famille se trouvant à La Havane (Cuba). Au même moment, Marcela annonçait qu’elle allait épouser Mario, un cousin d’Elisa venant d’Angleterre.
Lorsque celui-ci meurt en 1901, Elisa décide de trafiquer leurs papiers pour prendre son identité. Se présentant maintenant en tant qu’homme, Elisa (devenue donc Mario) peut épouser Marcela le 8 juin 1901 à l’église de la Corogne.
PRISON ET PROCÈS
La supercherie n’a pas duré bien longtemps. En effet, certains voisins ont reconnu la troublante ressemblance entre Mario et Elisa et ont commencé à spéculer. En réponse à cela, les deux épouses ont déménagé à Porto, au Portugal. En juillet 1901, les autorités espagnoles déclarent leur mariage illégal. Elles risquent alors la prison, car deux femmes unies par le mariage allaient à l’encontre de la loi. Les médias espagnols et portugais s’emparent de l’affaire du « mariage sans homme », placardant leurs photos à la une jusqu’à ce qu’un de leur voisin à Porto les reconnaisse et les dénonce. Ainsi, elles sont toutes deux arrêtées à Porto le 18 août 1901.
Le 21 août 1901, leur procès commence. Elisa, ayant repris son identité féminine, est accusée de travestisme et de falsification de documents, tandis que Marcela est simplement accusée de complicité. Elles sont enfermées à la prison Cadeia da Relação de Porto en attendant la décision du juge.
MOUVEMENT DE SOLIDARITÉ
La presse ayant annoncé qu’elles n’avaient aucuns vivres, une campagne a été lancée par des habitants de Porto pour leur envoyer de la nourriture. Une personne anonyme leur a même envoyé 2 500 Reais (environ 280 euros). Un autre acte de solidarité marquant survient lorsque Elisa perd l’une de ses tantes proches : plusieurs femmes lui prêtent et cousent des vêtements pour les quelques jours durant lesquels elle est autorisée à porter le deuil.
Après l’absence de décision du tribunal, elles sont toutes les deux relâchées le 29 août 1901.
MARCELA ENCEINTE
Le 6 janvier 1902, Marcela donne naissance à une fille qu’elle nomme María Enriqueta. Nous ignorons qui est le père de l’enfant mais il y a plusieurs hypothèses. La première est qu’il s’agirait simplement d’un amour de jeunesse. La seconde, plus sombre, suggère que Marcela aurait été violée et qu’Elisa aurait proposé de l’épouser pour lui éviter de devoir épouser son agresseur.
BUENO AIRES
La dernière information que nous avons sur elles est leur migration à Buenos Aires (Argentine) en mai 1902. Buenos Aires a été pendant très longtemps le refuge des fugitifs de la justice espagnole, ce qui explique leur choix. Elisa est partie en première, suivie quelques mois après de Marcela et de son nourrisson. Une fois sur place, Elisa se renomme María Sanchez tandis que Marcela se renomme Carmen. Nous n’avons pratiquement aucune autre information sur le reste de leur vie, nous laissant croire, ou du moins espérer, qu’elles ont vécu le restant de leurs jours dans la tranquillité, en profitant de leur amour.
Encore aujourd’hui, le certificat de mariage d’Elisa et Marcela n’a jamais été annulé, faisant de leur union l’un des premiers mariages homosexuels reconnus par l’État plus de cent ans avant sa légalisation en Espagne, en 2005. Leur histoire a beaucoup fait parler d’elle: un roman en 1902 relatant leur histoire, « La Soif d’aimer » de Felipe Trigo, a même été publié. Nous n’entendons plus réellement parler d’elles jusqu’en 2008, lorsque Narciso de Gabriel regroupe toutes les informations disponibles dans un livre. Celui-ci rend accessible des journaux retrouvés un siècle plus tard et a même été adapté en film en 2019 par Isabel Coixet et distribué par Netflix. Si leur histoire vous a intéressé.e, Histoire En Balade vous invite à le regarder !
Noah BAÑULS
Bibliographie
- Elisa y Marcela, Amigas y Amantes, Narciso de Gabriel, Éditions Morata.
- Elisa y Marcela, Isabel Coixet, 2019, Netflix.