Gertrude Margaret Lowtian Bell (1868-1926), issue d’une famille britannique érudite et aisée, est la première femme lauréate d’Oxford en 1886. Femme de lettres, elle se distingue en histoire moderne et publie au cours de sa vie sept ouvrages. Dès la fin de ses études, Gertrude Bell entreprend de nombreux voyages à travers l’Europe et réalise deux fois le tour du monde. Réelle exploratrice, elle a l’occasion de gravir plusieurs sommets dont le Mont Blanc. Dès 1899, elle effectue plusieurs voyages au Proche-Orient et dans l’Empire Ottoman. Lors de ses expéditions, elle s’attelle à documenter par l’écrit et la photographie, ses expériences et ses découvertes.
© Gertrude Bell Archive, Université de Newcastle.
Archéologie
Dès 1894, elle publie un récit de voyage sur la Perse. C’est à partir de 1905 et jusqu’en 1914 que la carrière d’archéologue de Gertrude Bell est la plus prolifique. Dès 1905, elle étudie différents sites au Proche-Orient : le site de Baalbek (dans l’actuel Liban) datant de la période hellénistique, le château de Krak des Chevaliers (dans l’actuelle Syrie) datant de la période des croisades ainsi que le château de Shayzar (en Egypte) datant du Xe-XIIIe siècles.
Ces sites sont décrits et photographiés dans son ouvrage The Desert and the Sown qui témoigne par ailleurs d’une approche orientaliste. En effet, Gertrude Bell ne se distingue pas de ses contemporains par sa supériorité morale occidentale dont elle n’épargne pas les populations locales. En 1909, elle décrit le Moyen-Orient dans l’ouvrage Amurath to Amurath. Puis dès 1911, elle concentre ses recherches sur la Mésopotamie et la région de Tur Abdin, dans l’actuelle Turquie, sur lesquelles elle publie un article scientifique.
Méthodologie
Pour ses recherches, elle ne collabore pas avec des universités et elle n’a pas non plus recours aux fouilles. Gertrude Bell établit des rapports d’analyses comparatives formelles, c’est-à-dire qu’elle comparait les formes architecturales des sites pour les dater et expliquer les tendances culturelles après les avoir décrites précisément. Manquant d’une formation en architecture et en dessin, elle comble cette lacune par une abondance photographique. La monographie sur la forteresse de Al-Ukhaidir qu’elle publie en 1914 en témoigne. Plus de 160 clichés ont été pris dont seulement 87 ont été publiés.
© Gertrude Bell Archive, Université de Newcastle.
Les conclusions de Gertrude Bell sont parfois fausses comme le mentionne Lisa Cooper. Néanmoins cela n’est pas incompatible avec la richesse des études comparatives entreprises et des nombreux supports visuels et data historiques rapportés par l’archéologue. En effet, de nombreuses descriptions et photographies de Bell sont indispensables pour documenter des sites aujourd’hui détruits. Sa contribution a permis d’établir un fond d’archives de plus de 12 000 documents à l’Université de Newcastle. Ce fond fait partie de la Mémoire du monde de l’Unesco depuis 2017.
Difficultés
Selon Julia Asher-Greve, les collègues masculins de Bell avaient tendance à minimiser ses contributions archéologiques en rappelant la richesse de sa famille ou encore sa collaboration aux renseignements britanniques. Ses recherches sont donc accompagnées d’un doute omniprésent en ses capacités scientifiques. Par conséquent, les apports archéologiques de Bell ont été peu mis en avant de son vivant et restent toujours dans l’ombre de ses correspondances personnelles et de son activité politique. Les biographes de Bell ont d’ailleurs tendance à romancer sa vie et ses relations, impactant négativement sa crédibilité scientifique.
Avec le début de la Première Guerre mondiale, Bell va cesser toute activité archéologique et se tourner vers l’effort de guerre. Dès 1915, elle se rend au Caire. L’Égypte, alors sous protectorat britannique, est un territoire clé pour les espions Alliés luttant contre les Allemands et l’Empire Ottoman. Bell travaille alors pour les services de renseignements britanniques en les informant sur les positions des tribus Arabes et leur loyauté envers la couronne. En outre, ses biographes l’érigent comme la première femme chargée de missions politiques pendant la Première Guerre mondiale.
Dans les années 1920, Bell prend temporairement la direction des Antiquités en Irak qui laissera la place en 1922 au Musée archéologique de Bagdad. Devenue femme politique, elle joue un rôle prépondérant dans l’établissement de l’Irak en tant que nation indépendante. Elle a notamment pour mission de délimiter les frontières territoriales de ce nouvel État, c’est pourquoi elle est surnommée la « Mère » de l’Irak moderne.
La vie de Gertrude Bell est racontée par de nombreux écrivains. Janet Wallach ou Christel Mouchard mettent en avant une femme aux multiples facettes. Aventurière, espionne, politique c’est l’histoire d’une femme ayant grandi à l’aube de la période industrielle et en pleine époque orientaliste qui est souvent mise en avant. Ses lettres et son journal intime servent à la dresser comme un exemple d’émancipation féminine. Mais il ne faut pas oublier que Gertrude Bell était une passionnée d’histoire et des cultures et a grandement contribué aux découvertes archéologiques des sites du Proche-Orient, Moyen-Orient et de la Mésopotamie pendant près d’une décennie.
Chloé BANULS
Bibliographie
- Lisa Cooper, In Search of Kings and Conquerors. Gertrude Bell and the Archaeology of the Middle East, London, I.B. Tauris, 2016.
- Janet Wallach, La Reine du désert : vie de Gertrude Bell, Bayard, 1997.
- Christel Mouchard, Gertrude Bell, archéologue, aventurière, agent secret, Paris, Tallandier, 2015.