Histoire en balade

Halloween et la Fête des morts : deux visages d’un même rapport à la mort

Chaque 31 octobre, citrouilles, fantômes et sorcières envahissent nos rues et nos imaginaires. Si Halloween est aujourd’hui associée aux costumes et aux bonbons, elle trouve ses racines dans des traditions bien plus anciennes, où les vivants et les morts semblaient partager la même nuit.

Samhain, la nuit où tout basculait

Pour les Celtes, l’année ne commençait pas en janvier mais au 1er novembre. La nuit du 31 octobre, appelée Samhain, marquait la fin de la saison claire et l’entrée dans la saison sombre. C’était un moment redouté : les récoltes étaient terminées, les jours raccourcissaient, la nature se mettait au repos. On croyait alors que le monde devenait fragile, et que les esprits des morts pouvaient franchir la frontière de l’au-delà.

Des sacrifices d’animaux, de cultures ou d’autres offrandes étaient réalisés pour apaiser ces entités et assurer protection et survie durant la saison froide. On allumait ensuite d’immenses feux rituels pour guider les âmes et conjurer le mauvais sort.

https://images.pexels.com/photos/776113/pexels-photo-776113.jpeg

Masques, grimaces et déguisements

Pour ne pas attirer l’attention des esprits malveillants, certaines personnes se couvraient avec des masques ou des peaux d’animaux, se déguisant pour tromper les entités invisibles : c’est l’ancêtre direct de nos costumes d’Halloween. On raconte aussi que des sacrifices d’animaux étaient pratiqués pour honorer les divinités de la mort et assurer de bonnes récoltes l’année suivante. Samhain était autant une célébration qu’un rituel de survie.

Quand l’Église recouvre le mythe

Au Moyen Âge, l’Église, inquiète de ces pratiques païennes, crée la Toussaint (1er novembre) puis la commémoration des morts (2 novembre), instituée officiellement au XIᵉ siècle par l’abbé Odilon de Cluny. L’idée était simple : transformer une nuit de peur en moment de prière. 

Le diocèse de Paris explique que cette journée est un moment de prière pour les défunts dans l’espérance de la vie éternelle, souvent accompagnée de tradition de fleurs sur les tombes. Cette commémoration exprime l’espoir chrétien de la résurrection et l’importance de maintenir un lien spirituel avec les défunts.

Mais les croyances populaires restèrent fortes. Dans certaines régions d’Europe, on allumait encore des bougies pour guider les âmes égarées, ou on déposait de la nourriture sur les tombes pour nourrir les défunts. En Bretagne, par exemple, certaines quêtes et messes spéciales, comme le tour des âmes, invitaient à sonner le glas près des demeures ayant connu un décès pendant l’année.

Jack-o’-Lantern : l’âme prisonnière de sa lanterne

La légende de Stingy Jack, née en Irlande, a ajouté une touche lugubre à la tradition. Jack, buveur et tricheur invétéré, aurait dupé le diable plusieurs fois. Mais à sa mort, rejeté à la fois du paradis et de l’enfer, il fut condamné à errer éternellement. Le diable, moqueur, lui donna une braise qu’il plaça dans un navet creusé pour éclairer sa route. Ainsi naquit le symbole de la lanterne. Quand les Irlandais émigrèrent en Amérique, ils remplacèrent le navet par une citrouille, plus facile à sculpter et plus impressionnante, emblème d’Halloween.

Du folklore aux friandises : l’Amérique réinvente

En traversant l’Atlantique au XIXᵉ siècle avec les immigrants irlandais, Halloween s’est métamorphosée. Dans les campagnes américaines, on organisait des jeux divinatoires, des soirées contées et des visites de maison en maison. Progressivement, les enfants ont pris le relais : déguisés en fantômes ou en sorcières, ils frappaient aux portes pour réclamer sucreries et pommes caramélisées. C’est l’origine du fameux « trick or treat », littéralement « des bonbons ou un sort ».

Au XXᵉ siècle, Halloween devient une fête de masse. Les écoles organisent des défilés costumés, les quartiers se parent de citrouilles, et les familles transforment leur jardin en cimetière hanté. Aujourd’hui, aux États-Unis, c’est la deuxième fête commerciale après Noël.

https://images.pexels.com/photos/14399569/pexels-photo-14399569.jpeg

Une fête de la peur apprivoisée

Halloween n’est pas seulement une fête d’enfants. Dès les années 1970, le cinéma s’empare de l’imaginaire macabre : le film Halloween (1978) de John Carpenter popularise l’idée d’une nuit hantée par des tueurs masqués. Depuis, les films d’horreur sortent traditionnellement fin octobre, renforçant l’association entre peur et divertissement.
Les parcs d’attractions participent aussi à ce grand spectacle : à Disneyland ou Universal Studios, la fête devient un gigantesque show où l’on croise zombies, clowns démoniaques et maisons hantées à grande échelle. La peur, apprivoisée et théâtralisée, devient une expérience collective, un frisson partagé.

Halloween en France : un discret retour

En France, Halloween a connu un démarrage timide dans les années 1990, souvent critiquée comme une « fête importée » et trop commerciale. Pourtant, les codes plaisent aux jeunes générations : déguisements, films d’horreur, soirées étudiantes et décorations dans les commerces. Dans certaines écoles primaires, les enseignants utilisent même la fête comme support pédagogique en cours d’anglais.

Conclusion : une fête universelle

Derrière les sucreries et les citrouilles, Halloween exprime quelque chose de plus profond : le besoin de conjurer la mort. Là où les Celtes allumaient des feux pour éloigner les esprits, nous organisons des fêtes pour rire de nos peurs. C’est une manière de transformer l’angoisse en jeu, et de renouer, l’air de rien, avec une très vieille tradition : apprivoiser la nuit et lui donner un sens.

Charlotte BERDUGO

Bibliographie

  • MARKALE Jean, Halloween : histoire et traditions, Paris, Imago, 2000.
  • MORTON Lisa, Trick or treat : A history of Halloween, Londres, Reaktion Books, 2013
  • SKAL David. J, Death Makes a Holiday: A Cultural History of Halloween, USA, Bloomsbury Publishing, USA, 2003
  • CARMICHAEL Elizabeth, SAYER Chloë, The Skeleton at the Feast : The day of the Dead in Mexico, USA, University of Texas Press, 1992.
Retour en haut