Histoire en balade

Histoire des peines judiciaires en France : du pilori à la justice numérique

La peine judiciaire en France s’est transformée au fil des siècles, non seulement dans ses formes,  mais surtout dans ses fonctions symboliques. Si elle fut longtemps spectacle et outil d’asservissement, elle est aujourd’hui un levier de réparation, voire de réinsertion. Une histoire qui ne se lit pas seulement dans les textes de loi, mais aussi dans la manière dont une société se représente, à travers ses peines, sa propre idée de justice.

Le Moyen-Âge

Au Moyen Âge, la justice n’est pas unifiée. Elle est fragmentée entre les pouvoirs seigneuriaux, ecclésiastiques et royaux. L’ordalie, le duel judiciaire ou encore le bannissement coexistent avec des formes de châtiments infamants comme le pilori ou la mutilation. Ces peines ont une forte portée symbolique : elles définissent socialement l’individu autant qu’elles punissent l’acte. À Reims, le chapitre de la cathédrale possédait sa propre juridiction, preuve que l’administration de la peine relevait autant de la politique que du religieux.

Epoque Moderne (1500-1789)

Avec l’époque moderne, la centralisation monarchique transforme la justice. L’ordonnance criminelle de 1670, mise en place à la volonté de Louis XIV, reprend et codifie les règles de la procédure pénale. Celle-ci comprend 5 étapes et prend la forme d’une procédure de type inquisitoire. La peine devient alors spectacle public : l’écartèlement de Damiens en 1757 incarne l’apogée de cette justice démonstrative. Mais déjà, des voix s’élèvent. Cesare Beccaria, dans son Traité des délits et des peines, plaide pour une peine juste, proportionnée et publique, en rupture totale avec les supplices monarchiques.

Miniature dans les Coutumes de Toulouse, écrites en 1296, représentant une mise au pilori d’une femme.
Miniature dans les Coutumes de Toulouse, écrites en 1296, représentant une mise au pilori d’une femme.

Révolution Française et XIXème siècle

La Révolution française introduit une rupture fondamentale. La guillotine, présentée comme plus humaine et égalitaire, devient le symbole d’une justice républicaine. Le Code Pénal de 1810 prolonge cet élan avec une hiérarchie de peines codifiées : mort, travaux forcés, réclusion, mais aussi peines correctionnelles. On passe d’une peine-spectacle à une peine-sanction, rationalisée et codifiée. La prison s’impose peu à peu comme peine centrale, bien que le bagne colonial continue d’exister. Tocqueville, dans son analyse des prisons américaines, critique déjà cette dérive carcérale.

XXᵉ siècle

Le XXᵉ siècle est marqué par une lente montée des résistances à la peine de mort. L’abolition en 1981, portée par Robert Badinter, marque un basculement moral et politique. La justice française se veut désormais respectueuse de la dignité humaine. Pourtant, la prison reste omniprésente, générant récidives, violences, et surpopulation. L’individualisation des peines et les mesures alternatives comme les travaux d’intérêt général ou le bracelet électronique apparaissent comme des tentatives de sortie du tout-carcéral.

“Une exécution au bagne” Maurice Alhoy, Les bagnes : histoire, types, moeurs, mystères, 1845
“Une exécution au bagne”
Maurice Alhoy, Les bagnes : histoire, types, moeurs, mystères, 1845

XXIᵉ siècle

Au XXIᵉ siècle, la peine judiciaire entre dans une nouvelle ère. Face à la crise carcérale et aux défis du numérique, la justice explore des voies alternatives : justice restaurative, intelligence artificielle prédictive, aménagements individualisés. La peine ne se veut plus seulement punitive : elle tend à devenir un outil de réparation et de transformation sociale. Mais cette nouvelle symbolique, moins visible que celle du pilori ou de la guillotine, reste fragile. Comme les objets culturels analysés dans mes précédents travaux, les peines judiciaires disent quelque chose de la société qui les produit. Elles en sont à la fois le reflet et l’outil de régulation.

De la roue au bracelet connecté, la justice pénale française est passée d’un théâtre public de la souffrance à un espace invisible de contrôle. Ce déplacement révèle une transformation profonde : la peine ne cherche plus à montrer, mais à corriger. Mais peut-elle corriger sans voir ? À l’heure où la société exige plus d’équité, de transparence et d’humanité, l’histoire des peines judiciaires nous invite à penser une justice qui ne se contente pas de punir, mais qui comprenne, répare et transforme.

Anaïs LY-MARZEC

Pour en savoir plus

  • Claude GauvardViolence et ordre public au Moyen Âge (PUF, 2005)
  • Michel FoucaultSurveiller et punir : Naissance de la prison
  • Jean Danet – “La justice restaurative en France” dans Droit et Société, 2015
  • Criminocorpus – Plateforme de référence sur l’histoire de la justice, des peines et des prisons  www.criminocorpus.org
  • Passion Médiévistes – Épisode 51 : Lucas Flandre sur la justice à Reims https://www.passionmedievistes.fr/?p=8871

Sources

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