Histoire en balade

Histoire des sociétés : l’urbanisation de l’Europe occidentale au XXe siècle

A la fois moteur et conséquence du développement économique, l’urbanisation a façonné le rapport au temps et à l’espace, et influencé les rapports humains dans les sociétés européennes au XXe siècle. Cette évolution est allée de pair avec les révolutions industrielles. L’Europe, en particulier les nations occidentales, ont ainsi vu le nombre et la taille de leurs villes augmenter au gré des implantations d’usines textiles, métallurgiques et sidérurgiques. Les classes dirigeantes en recherche de main d’œuvre ont contribué au développement des villes, point d’accueil des populations croissantes en recherche d’emploi.

Batavierstratt, Amsterdam, 1925
Batavierstratt, Amsterdam, 1925
© Pixabay

Venir habiter en ville, au début du XXe siècle, c’est quitter les campagnes pour trouver des opportunités qui n’existent pas suffisamment en milieu rural. La classe dirigeante domine encore les territoires, et « bloque » les classes populaires dans une possible évolution. Ainsi, le mouvement d’exode rural qui a débuté au XIXe siècle se poursuit et s’accentue.

L’Europe occidentale est alors un vaste territoire déjà émaillé de villes plus ou moins grandes. L’implantation de villes s’observe partout. On peut citer la prédominance de Londres pour le cas de la Grande-Bretagne. En France, l’exploitation des usines textiles du nord et du nord-est du pays, ont favorisé le développement de villes à taille moyenne, comme Lille ou Roubaix. En Italie, les industries automobiles de Milan et Turin sont d’autres exemples de ce rapport de cause à effet entre industrialisation et développement urbain. Dans ce contexte, il convient de souligner que les quartiers ouvriers se développent de manière conséquente, avec des problématiques d’insuffisance et d’insalubrité marquées.

Les classes dirigeantes prennent conscience des difficultés de logement pour les classes populaires. Elles engagent à cet effet un certain nombre d’enquêtes sociales, dont l’objectif est de trouver des solutions pour améliorer le sort des plus pauvres. Mais cela ne permet pas de résorber suffisamment les inégalités, qui s’accentuent à l’occasion de la Première Guerre mondiale. A ce moment-là, les destructions causées par le conflit plongent les classes populaires dans une précarité de logement inédite.

Les évolutions de la période « entre-deux-guerres »

La période dite d’« entre-deux-guerres » hérite d’une situation contrastée et inégalitaire en matière d’urbanisation. S’agissant des classes populaires, les problèmes de logement (promiscuité, insalubrité) sont plus que jamais préoccupants. En conséquence, une réflexion nouvelle voit le jour, initiée par des réformateurs, des philanthropes ou des catholiques sociaux. L’objectif est de lutter contre les méfaits de l’urbanisation « massive » qui s’était opérée avant la guerre. Le modèle de la grande ville industrielle, asphyxiante et encombrée, a révélé ses limites en devenant le creuset des tensions et des fractures sociales. La notion d’urbanisme s’étoffe. 

Des moyens pour restaurer l’esprit de communauté sont mis en place comme la végétalisation des villes et la réduction de la superficie de ces dernières. Par exemple, en 1919, la loi Cornudet en France oblige les communes de plus de 10 000 habitants à se doter d’un plan d’aménagement urbain.

Enfin, une nouvelle catégorie de logements pour lesquels l’Etat prévoit une aide apparaît. Il s’agit des « habitations à loyer moyen » promues par la loi Loucheur (1928). L’uniformisation des intérieurs, que l’on cherche à moderniser, est également en marche. C’est par exemple le cas en Allemagne, où Ernest May (réformateur et architecte-urbaniste) conçoit des logements standardisés.

Par ailleurs, habiter en ville, dans la période entre-deux-guerres, c’est aussi avoir accès à une ouverture culturelle. Les salles de cinéma se développent. Les équipements en postes radio augmentent aussi durant cette période. La diffusion de films et d’émissions radio participe à l’élaboration d’une culture commune pour les populations urbaines. Les progrès de l’urbanisation ne gomment cependant pas toutes les disparités sociales séculaires et les crises identitaires que la Première Guerre mondiale a renforcées.

Bidonville de Nanterre vers 1945
Bidonville de Nanterre vers 1945 © Pixabay

Et après 1945 ?

Le choc de la Seconde Guerre mondiale bouleverse la dynamique et impose de nouveaux défis en matière d’urbanisation. La période du second après-guerre s’ouvre alors sur un immense chantier de reconstruction. En effet, le niveau des destructions immobilières est très lourd. L’Allemagne a perdu 20% de son patrimoine et la France est aussi très touchée (en particulier la Normandie). En Angleterre, la ville de Londres a subi des bombardements sans précédent. Le nombre de personnes sans logis explose. Si l’on fait partie des classes populaires à cette époque, habiter en ville signifie souvent vivre dans des baraquements proches des chantiers de reconstruction. L’interventionnisme de l’Etat s’accentue encore au cours de cette période. En France, par exemple, un ministère consacré à la reconstruction et à l’urbanisme est créé dès novembre 1944.  En RFA, une loi sur la construction de logements est adoptée en 1950. En Italie, le plan Fanfani permet aussi la construction de logements entre 1949 et 1954.  La poursuite et l’accélération de l’exode rural, couplée à une vague d’immigration massive, induit une urbanisation de plus en plus dense. Elle prend la forme d’un étalement urbain. Les banlieues se développent  et les foyers s’équipent de plus en plus de voitures pour la vie quotidienne et les déplacements. La période des années 50-60 se caractérise aussi par une tertiarisation de l’activité économique et la vie en ville permet d’accéder à des emplois de service.

Par ailleurs, les sociétés occidentales entrent progressivement au cours des années 50 et dans les années 60 dans l’ère de la consommation de masse. Par conséquent, l’urbanisation n’est pas sans effets sur le plan environnemental (pollution, gaspillage des ressources).

Le phénomène de l’urbanisation qui s’est déployé au cours du XXème siècle est donc remarquable par son ampleur et par la profondeur des transformations sociales occasionnées. Habiter en ville est devenu une expérience de vie commune à la majorité de la population européenne qui travaille, se loge, et se déplace désormais dans un cadre urbain.

Christine HEY

Conseils de lecture

  • KAELBLE Hartmut, Vers une société européenne, 1880-1980, Belin, 1988.
  • BARDET Jean-Pierre et DUPAQUIER Jacques(dir), Histoire des populations de l’Europe, Tome 3: Les temps incertains, 1914-1998, Fayard, 1999.
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