Notre vision de la citoyenneté est encore synonyme de droits notamment l’exercice du droit de vote ou l’éligibilité. Or, la pratique de la citoyenneté est différente et indépendante de droits d’action proprement politiques si nous étudions la place des femmes dans l’espace social. Avant les droits de vote, la femme trouve sa place indirectement dans la société et la politique par différentes actions. L’étude du genre qui entre dans l’ère des sciences politiques modifie la perception de la citoyenneté féminine. La définition de citoyenneté prend alors un autre sens et nous parlons de « citoyennetés plurielles, politiques mais aussi sociales, économiques et culturelles ».
Définir la citoyenneté
Il est nécessaire d’étudier la notion de citoyenneté de façon différente selon les périodes et les espaces géographiques. La citoyenneté peut s’exprimer de différentes façons. L’interrogation porte sur la façon dont les femmes exercent une citoyenneté. En repensant la division des rôles par la frontière homme et femme on peut ainsi s’ouvrir à une définition de la citoyenneté élargie. Les études de Joan W. Scott démontrent que s’intéresser à l’histoire des femmes conduit à une étude cloisonnée et replace à nouveau ces dernières dans une catégorie. Ainsi il est plus équilibré de penser l’étude des femmes et des hommes en s’orientant vers une étude du genre plutôt que de faire deux études distinctes.
Le suffrage, mais encore
La notion de suffrage est une construction occidentale qui prend sa source dans l’Antiquité classique. La citoyenneté est perçue comme une notion juridique qui offre des droits et des devoirs. Toutefois les femmes sont considérées comme exclues de la pratique politique, mais indirectement elles parviennent à participer à la vie politique des cités. Cette analyse permet de contredire l’idée que les citoyennes n’ont pas existé avant l’époque contemporaine. Les prétendues citoyennes de la Révolution ne disposent d’aucun droit d’action proprement politique. Elles sont privées du droit de suffrage. La citoyenne ne peut exploiter le droit de suffrage dont elle est censée être détentrice si on prend la définition de citoyenne au pied de la lettre.
Ainsi ces citoyennes ont contribué à la Révolution, se battant pour leurs droits, mais se sont tout de même retrouvées exclues de toute décision politique. On se demande alors pourquoi en 1789, les femmes sont exclues alors que des sources nous rapportent une activité féminine dans les campagnes électorales de Pompéi pendant l’Antiquité.Cette période ancienne serait plus favorable à la manifestation politique des femmes. Nous observons que les femmes peuvent signer des documents comme des hommes. Sara Panata prend le problème sous un angle différent et étudie la place des femmes dans le combat pour l’indépendance du Nigeria. La problématique de la citoyenneté remet en jeu la question même du politique.
Au-delà du politique : des citoyennetés sociales
Comment peut-on définir un citoyen ou une citoyenne selon la période et la société étudiée ? Selon la communauté observée, la notion de citoyenneté diffère et le sens du terme est totalement différent. Dans les sociétés antiques il est question de chose publique (dans le cas de la Grèce), ou de droit de bourgeoisie dans les sociétés modernes. Nous pouvons aussi nous interroger sur l’étendue du mot citoyenneté et sur ce qu’il sous-entend. Pour l’après seconde guerre mondiale Yvonne Knibiehler parle de « civisme démographique ». Ainsi l’accession des femmes au droit de vote peut se présenter plus comme une manipulation politique qu’une volonté d’équilibre entre les sexes. Une autre approche consiste à réfléchir à comment les femmes en France ont réussi au XIXe siècle à intégrer de façon indirecte la citoyenneté.
Les institutrices ou bien encore les infirmières par exemple ont su s’intégrer dans la vie citoyenne en s’occupant de l’autre, et en contribuant au bien de la société. Ce bilan permet de voir que la citoyenneté peut s’étendre à des espaces qui dépassent les lieux de politisation traditionnelle. L’espace privé contribue aussi à la citoyenneté. L’éducation des enfants devient un acte citoyen. Tout acte peut se présenter de citoyenneté même s’il n’est pas dans un cadre purement politique.
Il est nécessaire d’ouvrir la pratique politique à d’autres sphères que celle de l’Etat nation. De manière indirecte la pratique de la citoyenneté est possible. Les femmes privées de droit d’action politique ont pu s’investir dans la citoyenneté par des biais différents.
La citoyenneté « étatique-nationale » en question
La période avant la Révolution nous conduit à réfléchir sur la relation entre territoire et citoyenneté. Ainsi avant la période contemporaine il faut prendre en compte cette possibilité de citoyenneté et aussi dans quelles mesures il est possible d’y accéder. Tout d’abord les travaux de Simona Fecci et d’Anna Bellavitis montrent que les droits et les statuts des individus ne sont pas généralisés à l’ensemble d’un territoire mais changent selon les villes, dans le cas de l’Italie. Les femmes inventent selon la zone où elles résident, une identité citoyenne en profitant des opportunités qui leur sont offertes.
On ne peut alors considérer que le sexe pendant l’époque moderne est l’unique cause de privation de droits civiques. La condition sociale est aussi prépondérante et appartenir à une corporation est une ouverture à la pratique citoyenne.
Dans le cadre de la Grèce hellénistique (-323 à -31), l’analyse est différente et la citoyenneté est très flexible. La citoyenneté ouvre l’accès à certains privilèges. Il est essentiel d’étendre la recherche de cette citoyenneté à la femme car le résultat des recherches pourrait conduire à une modification de nos connaissances sur la place de la femme au sein de l’activité politique.
La citoyenneté n’est donc pas uniquement une question de genre. Les étrangers sont encore exclus des droits des citoyens peu importe leur sexe. Les recherches concernant la période coloniale depuis les années 2000 s’interrogent sur ce qu’est un citoyen dans les pays colonisés. Bien qu’elles aient permis de connaître le fonctionnement des droits dans les zones coloniales, la question du genre dans ce contexte n’est pas soulevée. La place de l’étranger domine la place des femmes au sein de la pratique de la citoyenneté. Le code de l’indigénat se concentre sur l’exclusion des habitants des colonies considérés comme « indigènes » et non sur le genre de ces derniers, les conduisant à des droits limités. Frederick Cooper s’est arrêté sur l’intégration et l’exclusion des individus d’un point de vue social et politique. Il parle de « politique » de la différence.
Dans le cadre européen nous sommes poussés à redéfinir la citoyenneté. L’identité rentre en jeu. Il faut maintenant s’interroger sur la définition de citoyenneté et de nationalité qui sont deux notions différentes dans le cadre de l’Europe. Au sein même de l’union Européenne les états disposent d’une liberté totale de définition de leur citoyenneté. Ils sont libres de leurs institutions et l’Europe n’impose pas une institution unique propre à la communauté européenne.
Noémie PICOT
Bibliographie
- Barthélémy Pascale, Cuchet Sébillote, Sous la citoyenneté, le genre, Clio, Femmes, Genre, Histoire 1 n° 43, 2016.