La diététique au Moyen Âge, entre médecine et alimentation
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- Histoire médiévale, Médecine
- 20/09/2025
La médecine médiévale est bien différente de notre médecine actuelle et ne se résume pas qu’à la saignée et autres traitements non-antiseptiques. Elle se divise en trois branches, la chirurgie, qui est généralement pratiquée par des chirurgiens barbiers, la pharmacopée et la diététique. Cette dernière, liant la médecine à la cuisine, est préventive et curative. Elle est fondée sur des savoirs remontant jusqu’à Hippocrate de Kos, médecin grec du Ve siècle avant notre ère.
Des savoirs hérités de médecins antiques
Les médecins sont généralement des clercs qui ont eu accès, lors de leur éducation, aux textes antiques comme ceux de Galien ou Hippocrate, qui ont apporté les bases des connaissances médicales du Moyen Âge. Hippocrate de Kos, considéré comme le père de la médecine, a établi la théorie des humeurs, quatre fluides corporels qui sont le sang, la bile jaune, la bile noire et le phlegme. Selon lui, la santé d’un patient se préserve en maintenant l’équilibre entre les quatre humeurs. Sa théorie se diffuse jusqu’à Galien, médecin grec du IIe siècle de notre ère, qui se l’approprie et y apporte ses connaissances.
Les auteurs grecs et latins ne sont pas les seuls à fournir des connaissances médicales. Les auteurs arabes comme Ibn Butlân, médecin originaire du Proche-Orient au XIe siècle, ou encore Ibn Sina, connu sous le nom d’Avicenne, médecin persan du début du XIe siècle, ont été traduits aux XIIIe et XVe siècles, apportant alors des savoirs aux médecins médiévaux et modernes. Dans son Canon, Avicenne, médecin persan du XIe siècle, a amélioré le diagnostic de certaines pathologies identifiées par Hippocrate et a mis au point des régimes alimentaires adaptés aux pathologies. Quant à Ibn Butlân, il écrit le Tacuinum Sanitatis en arabe au XIe siècle, qui devient la base de la diététique du bas Moyen Âge et de l’époque moderne après sa traduction en latin au XIIe siècle. Avec la traduction des textes, généralement réalisées en Italie ou dans la péninsule ibérique, les médecins ont accès à de nombreux textes médicaux, bien avant la chute de Constantinople en 1453 qui a entraîné la fuite des érudits, emportant avec eux les traductions de textes antiques grecs.
La pensée analogique médiévale : macrocosme et microcosme
En plus des savoirs antiques, la médecine médiévale est largement influencée par le christianisme et la figure de Dieu comme cause première du monde et des événements naturels. Philippe Descola dans Par-delà nature et culture, assigne une ontologie à la pensée médiévale et moderne, l’analogisme, qui singularise physiquement comme intérieurement chaque entité, vivante ou non. Tous ces êtres vivants et éléments naturels sont des créations divines pour les médecins qui doivent donc être hiérarchisées ; c’est ce qui est appelé « la grande chaîne de l’être », du plus pur (le plus proche de Dieu) au plus négligeable (proche du sol et de l’enfer). L’Homme zodiacal de Hildegarde de Bingen au XIIe siècle ou celui des Frères de Limbourg au XVe siècle en sont des exemples illustrés.

Pour prescrire et guérir, il faut comprendre le lien entre deux créations divines : l’environnement et le corps humain car, selon les médecins médiévaux, le macrocosme agit sur le microcosme. L’environnement, ou macrocosme, correspond à tous les phénomènes physiques et météorologiques, notamment les astres. Le microcosme se situe à l’intérieur du corps humain, composé des quatre humeurs, chacune ayant une qualité qui est reliée à un élément. Le sang, chaud et humide, est lié à l’air, alors que la bile noire, froide et sèche, correspond à la terre. La bile jaune est connue sous le nom de colère, chaude et sèche, liée au feu. Quant au phlegme, ou mélancolie, ce sont l’eau, le froid et l’humidité qui y sont associés. Cet ensemble est appelé « complexion » par Galien et c’est cette complexion qui maintient la santé du patient. Si elle est déséquilibrée, comme un excès de sang, le patient peut tomber malade. Chaque patient a sa complexion, qui dépend de la zone géographique, de l’âge, du genre et des organes concernés. Ainsi, un individu plus âgé aura une complexion plus froide qu’un individu plus jeune.
Équilibrer les complexions par l’alimentation
Les soins se fondent essentiellement sur l’équilibre des humeurs et l’alimentation est parfois plus importante que la célèbre saignée car, les aliments agissent directement sur le microcosme. Les régimes de santé sont préventifs et adaptés à la complexion de chaque individu. Mais un noble n’aura pas les mêmes prescriptions alimentaires qu’un roturier. Plus la catégorie sociale est élevée, plus les aliments prescrits pour soigner ou comme nourriture quotidienne sont proches du ciel, car plus proches de Dieu, donc plus nobles, comme le poulet ou la viande tendre comme le lapin. Pour les plus pauvres, les prescriptions se focalisent sur les produits de la terre, soit des bulbes d’oignons, des carottes… Cela n’empêche pas un seigneur de manger des carottes ou du porc, viande considérée moins noble que le gibier ou la volaille.

Chaque aliment peut être chaud ou froid, sec ou humide et possède un degré d’intensité de chaleur, de sécheresse, d’humidité et de froid allant de 1 à 4. Par exemple, le poivre long est chaud et sec au degré 4, le degré le plus fort. Les aliments peuvent être combinés et constituer un plat, voire des menus entiers pour garder l’équilibre des humeurs. Ainsi, les médecins, accompagnés de cuisiniers, peuvent préparer des menus adaptés à chaque complexion pour prévenir les pathologies et conserver la santé des patients, qu’ils soient sains ou malades. Certains menus nous sont parvenus, comme l’association du melon et du jambon sec : le melon est froid et humide au deuxième degré alors que le jambon est chaud et sec au deuxième degré, l’équilibre parfait. Ainsi, la médecine médiévale a inspiré certains plats que nous consommons aujourd’hui.
Anaïs GREAUD
Bibliographie
- Camassa, Giorgio, Les Savoirs de l’écriture en Grèce Ancienne, 2010, p. 305-329.
- Descola, Philippe, Par-delà nature et culture, 2015.
- Jacquart, Danielle, « La nourriture et le corps au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales, mars 2006, p. 259-66.
- Laurioux, Bruno, « Cuisine et médecine au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales, mars 2006, p. 223-38.
- Nicoud, Marilyn, « Les régimes de santé au Moyen Âge : une éducation alimentaire avant la lettre ? », CNRS Sciences humaines & sociales, 2023.
- Nicoud, Marilyn, « Savoirs et pratiques diététiques au Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales, mars 2006, p. 239-47.