La Pax Mongolica : une première mondialisation
1241. Vienne. Les troupes mongoles sont aux portes de la ville mais, l’inespéré arrive. Le Khagan (empereur mongol) meurt. Tous ses généraux et les membres de la famille impériale sont rappelés en Mongolie pour procéder au qururltaï (élection) du nouvel empereur. La vague monstrueuse qui venait de déferler sur l’Europe de l’Est, ayant conquis par le fer et le sang la Pologne, la Russie, les Balkans et la Hongrie, se retire comme une marée. Cette Europe désunie et prompte aux luttes internes, fait face, pour la première fois depuis Attila, à une menace existentielle.
Construire la Pax Mongolica
L’histoire de l’Empire mongol est celle d’une conquête sans fin, qui touche trois continents et des millions de vies. En cent ans, cet empire nomade conquiert plus de territoires continus que n’importe quel autre empire dans l’histoire de l’humanité. Trente-trois millions de kilomètres carrés. Un espace inimaginable encore aujourd’hui. Seul l’empire britannique au XXe siècle le surpasse. Les Hordes de Temujin apparaissent pour les civilisations qui les subissent comme invincibles, et parfois même comme les cavaliers de l’Apocalypse, venus laver la Terre de ses péchés. Régnant du Pacifique aux portes de l’Europe, les Khagan successifs règnent sur d’innombrables cultures différentes, avec tolérance et harmonie.
https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2665563-route-de-la-soie-la-chine-et-les-routes-commerciales/
Le terme de mondialisation est défini comme un phénomène d’interconnexion entre des groupes et/ou individus à travers un espace international. Dans ce cadre sont échangés des biens et des services, abolissant, pour le commerce et les idées, les frontières nationales. La généralité de cette définition nous permet de l’adapter, notamment à la notion de « monde-connu », et ainsi de conceptualiser la mondialisation à une période précise, ici la Pax Mongolica, c’est-à-dire la période où l’Empire Mongol domine ledit monde connu. Cette mondialisation mongole ne passe pas que par la conquête militaire et la domination politique. La Route de la Soie, qui relie l’Occident à l’Extrême-Orient est un facteur essentiel. Le Khagan contrôle le Moyen-Orient grâce à ses conquêtes, qui est placé sous la gouvernance du Ilkhanat (le royaume de Perse). Ce dernier est la clef du contrôle de la Route de la Soie. En effet, le Moyen-Orient est un carrefour des civilisations, qui relie plusieurs mondes à ses extrémités, qui ne se connaissent pas entre eux, mais qui sont reliés par cet espace. De plus, ce dernier est composé de nombreuses voies commerciales, qui forment, une fois reliées dans un système cohérent, la Route de la Soie, qui préexiste à l’Empire mongol, et qui par leur existence, attirent les marchands de plusieurs continents.
Le système de gouvernance mongol qui survient après la conquête des territoires, ajoute une nouvelle strate administrative sur un système politico-social déjà existant localement. Les élites locales sont conservées et les systèmes inchangés. Toutefois, un Khan (roi) mongol devient la plus haute autorité régionale. Son rôle est de récolter des impôts, le tribut annuel ainsi que d’organiser la défense du territoire qui lui est confié. Au-delà de l’impôt et du tribut, l’Empire mongol exige une soumission totale des peuples conquis à son autorité. Cette soumission est exigée lors de la conquête, qui n’offre que deux solutions : la soumission immédiate ou la destruction complète. Un exemple marquant est la conquête de Bagdad en 1258. À cette date, Bagdad est l’une des plus grandes villes du monde, épicentre de la connaissance (par sa grande madrasa [bibliothèque] ou par ses centres de recherches) et de la culture (haut de lieu de la Renaissance islamique). C’est aussi le coeur religieux du monde islamique. Lorsque les armées mongoles arrivent à ses portes, l’ultimatum est donné, mais refusé par les autorités de la ville. Elle sera rasée entièrement, sa population massacrée ou mise en esclavage, comme par exemple pour les autres villes de la région. À la suite de cette destruction, la région s’ouvre et se soumet au pouvoir des nomades. Cette dichotomie dramatique entre destruction totale ou soumission (qui offre autonomie et tolérance) est un reflet intéressant du système politico-religieux de cet empire atypique.
Unifier le monde connu sous le Grand Ciel Bleu
Ce dernier conserve ses formes nomades et tribales dans son administration et son fonctionnement à bien des égards. Le pouvoir qu’obtient Gengis Khan à partir de 1206 est acquis par la force et la guerre, qui lui permettent de soumettre les autres tribus mongoles, avant de partir à la conquête des espaces adjacents. Si les révoltes sont réprimées dans le sang, la loyauté est récompensée de manière équivalente.
Le système politique et religieux de l’Empire mongol est tribal, clanique, mais il est aussi basé sur une croyance : le Tengrisme. Cette croyance incorpore des éléments du chamanisme et de l’animisme. La divinité principale en est Tengri, le Grand Ciel Bleu. La légende raconte que Gengis Khan, au cours d’un pèlerinage, aurait aperçu cet esprit, qui lui aurait alors dit d’unifier tous les peuples du monde sous le Grand Ciel Bleu. C’est la mission que se donne Gengis Khan sans toutefois le faire avec une vision prosélyte. Le Khagan mongol Mongke, organise un débat inter-religieux entre des représentants chrétiens, musulmans et bouddhistes à sa Cour, ayant le désir de découvrir de nouvelles cultures et religions.
https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-17448/empire-mongol/
Ce qui nous permet de parler d’une mondialisation mongole, c’est la cohérence administrative et fiscale mise en place à travers l’Empire. Cela passe notamment par la réglementation de la Route de la Soie, notamment par la réglementation douanière et les autorisations de commerce. L’unification de cette dernière par l’administration mongole permet qu’une plus grande quantité de biens traversent l’Empire, et diminue le nombre d’intermédiaires. Malgré cette liberté de commerce, la Route de la Soie est surveillée et régulée par les fonctionnaires de l’Empire, notamment pour lutter contre la contrebande de produits comme le vers à soie, monopole de l’empereur. Les marchands ne sont pas les seuls : ils sont souvent accompagnés de religieux ou d’ambassadeurs.
De fait, l’Empire mongol est dans sa création l’un des plus violents de l’histoire de l’humanité, utilisant la terreur pour dominer, mais aussi l’un des plus tolérants, acceptant toutes les cultures et religions en son sein. Par cette domination d’un territoire immense, les mongols mettent en place une proto-mondialisation dont l’échelle ne sera égalée qu’au XVIIIe siècle et la colonisation européenne du monde.
Toutefois cette mondialisation a un coût, le plus grand exemple en est la Peste Noire, qui fait rage de 1346 à 1453, cause entre 75 et 200 millions de morts à travers le monde connu. Nous pensons aujourd’hui que cette peste est initialement survenue en Chine avant de se propager par la route de la Soie jusqu’aux confins de l’Empire.
Ce que l’on doit retenir de cette Pax Mongolica est que la mondialisation n’est pas un phénomène contemporain, mais un processus qui évolue avec nos sociétés. Les échanges eux-mêmes n’ont pas changé de nature, seules ont changé les méthodes.
Tim PETIT
Bibliographie
- Marie Favereau, La Horde, Éd. Perrin, 2023, ch5.
- Peter Frankopan, The Silk Roads, Bloomsbury, 2016.
- Thierry Lentz & Patrice Gueniffey, La fin des Empires, Le Figaro Histoire, 2016, ch6.
- Jane Burbank & Frederick Cooper, Empires in World History, Princeton University press, 2010, ch4.