La philosophie et la littérature au service des mémoires de la Seconde Guerre mondiale ?
L’histoire est une science humaine, qui étudie les faits, les retrace dans son intégralité à l’exactitude, de manière objective. Quant à la mémoire, elle peut être subjective ou collective. Elle correspond à un ensemble de souvenirs vécus par un individu ou un groupe d’individus. Elle suggère également une forme de lien affectif avec le vécu des personnes. La mémoire peut faire revenir un sentiment de douleur, ou de joie, correspondant parfois aux faits historiques. Toutefois, elle reste partielle, puisque cette mémoire peut tomber dans l’oubli, ou être déformée, contrairement à l’histoire.
La Seconde Guerre mondiale : le conflit le plus écrit
La guerre occupe une place centrale dans la littérature du XXe siècle. Écrire la guerre c’est aussi la décrire, la raconter qu’elle soit en toile de fond ou au centre du récit. Lorsqu’on raconte la guerre, on en raconte aussi ses mémoires. Les écrits peuvent permettre de faire vivre cette mémoire, de ne la faire tomber dans l’oubli. C’est le cas de Jean Tardieu, lorsqu’il écrit son poème Oradour. Dans ces vers, il raconte le massacre d’Oradour sur Glane, où tout un village français a été décimé par la Gestapo le 10 juin 1944. Les femmes et les enfants ont été enfermés, puis fusillés dans l’église. Quant aux hommes, la division SS Das Reich a choisi de les brûler dans les granges et les hangars du petit village.
Crédit photo : LeBrief.
Mythe national, désacralisation du héros, mise en avant de la victime
A la sortie de la guerre, la France manque d’unité nationale. La France occupée et la France libre sont divisées. Certains veulent une France de De Gaulle, alors que d’autres veulent celle de Vichy. Pour cette raison, le mythe du héros national va naître afin d’unifier cette France, ce qui va impacter la littérature. Il y a donc une création de la mémoire collective. Hors, après la mort de De Gaulle ce mythe est remis en cause (1970). On va mettre en avant les victimes. Primo Levi, publie Si c’est un homme en 1947. Cet ouvrage n’aura que peu d’impact, et sera même refusé par une maison d’édition. Mais il est publié une seconde fois en 1967, et a plus de poids cette fois-ci. Les mentalités sont prêtes à entendre les voix des victimes. Si c’est un homme devient alors un pilier de la littérature de la Shoah, aussi dite littérature concentrationnaire. Si c’est un homme relate la vie de Primo Levi en tant que détenu dans les camps de 1943, jusqu’à la libération des camps par l’armée rouge en 1945. Il réussit à s’en sortir grâce à son statut de Kapo et son utilité dans les camps en tant que chimiste.
La mémoire, un outil de débat philosophique
Lorsque Hannah Arendt rédige son article La banalité du mal dans le New Yorker, ce dernier fait scandale. Comme nous pouvons le voir dans le biopic d’Hannah Arendt, ceux qui s’opposent à cette théorie deviennent alors des défenseurs des mémoires de la Shoah lors des débats philosophiques, incitant à se souvenir et faisant donc vivre cette mémoire. La Banalité du mal consiste à penser que les coupables des crimes nazis tel que Eichmann, on était dépossédé de leur capacité de penser, de leur discernement, afin de n’être capable que d’obéir aux ordres, tel des machines. On pourrait croire qu’elle les déculpabilise. Or, c’est tout le contraire. On accuse également Arendt de défendre Eichmann, ce qui n’est pas le cas, puisqu’elle considère son crime impardonnable. C’est ici qu’intervient également la mémoire d’Hannah Arendt, elle-même rescapée des camps. C’est justement puisqu’elle est incapable de le pardonner, qu’elle se souvient. L’acte d’Eichmann reste irréversible.
La mémoire parfois bafouée par les philosophes
Sartre écrit : “Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’occupation allemande.” Ici, Sartre cherche à dire que durant ce conflit, la vie était faite de choix. Tous les jours, les individus pouvaient choisir de résister ou de collaborer. Hors, il oublie un détail. Les citoyens étaient privés de toutes les libertés fondamentales, comme le droit de circuler, ou de s’exprimer. Dans le témoignage de Marguerite Duras, La douleur, l’autrice stipule qu’elle n’a pas le droit de travailler assise, alors que son travail consiste à écrire, ce qui peut paraître absurde. Par cet exemple littéraire, on peut alors remarquer que Sartre n’a pas réfléchit en profondeur à ses paroles.
L’horreur dépassant les mots
Dans son ouvrage Le Rire, Bergson définit les mots comme une étiquette universelle collée sur des significations. Or, contrairement aux mots, nos sentiments et nos émotions sont subjectives. Il y a donc incompatibilité entre l’expression de soi et les mots. Hors, pour parler de mémoire, nous avons besoin des mots, tandis que nos sentiments et nos émotions surgissent dans ces moments de mémoire. Marguerite Duras utilise les métaphores pour décrire le retour des camps de son mari, ainsi que son état physique. Mais un problème subsiste dans ces métaphores. Encore une fois, c’est une question de subjectivité. Chacun peut les interpréter à sa manière. Alors dans son roman graphique Mauss, Art Spiegelman combine mots et dessins pour décrire l’horreur des camps dont son père a été victime.
La littérature et la philosophie muselées par la politique
Durant la Seconde Guerre Mondiale, le général espagnol Franco a apporté son soutien à Hitler et inversement. (Bombardement de Guernica. (Guernica Pablo Picasso). Indirectement, l’Espagne a également joué son rôle dans cette Seconde Guerre Mondiale, malgré qu’elle soit en guerre civile. Si nous n’avons jamais autant écrit sur ce conflit en France, ce n’est pas le cas de l’Espagne, qui a dû subir la censure de Franco jusqu’à sa mort, en 1975. Par conséquent, aucun ouvrage n’est apparu sur ces deux conflits. Ce n’est qu’aujourd’hui que des mémoires sur le rôle de l’Espagne durant la Seconde Guerre Mondiale apparaissent. En bref, la philosophie et la littérature sont au service des mémoires de la Seconde Guerre mondiale, mais elles peuvent aussi lui faire défaut.
Olympe PICOT
Sitographie
- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/radioscopie-par-jacques-chancel/elie-wiesel-6400075. Consulté le : 24/11/2024.
- https://www.radiofrance.fr/franceculture/elie-wiesel-comment-vivre-apres-auschwitz-6873606. Consulté le 23/11/2024.
Bibliographie
- Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, août 2000.
- Jankélévitch, L’imprescriptible, Paris, Point, juin 1996.