La Rose blanche : une résistance intellectuelle et spirituelle au nazisme
Dans OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, le personnage principal déclare : « Tous les Allemands ne sont pas nazis. » Cette saillie comique, prononcée par un personnage caricatural, contient pourtant une vérité historique souvent oubliée : l’adhésion de la population allemande au nazisme ne fut ni totale, ni homogène. Dès les premières années du IIIe Reich, des voix dissidentes se sont élevées, souvent isolées, parfois organisées, au risque de leur liberté, voire de leur vie. Parmi elles, le groupe clandestin de la Rose blanche (Die Weiße Rose), formé par de jeunes étudiants à l’université de Munich, incarne un cas singulier : celui d’une résistance pacifique, portée par la culture, la foi et la raison, au sein même de la jeunesse allemande.
Une jeunesse allemande en éveil
Fondée au printemps 1942 par Hans Scholl et Alexander Schmorell, la Rose blanche réunit rapidement autour d’eux une poignée d’étudiants issus de la bourgeoisie cultivée allemande : Sophie Scholl, étudiante en biologie et en philosophie et soeur d’Hans, Christoph Probst, Willi Graf et le professeur Kurt Huber, philosophe respecté. Tous fréquentent l’université de Munich, tous sont jeunes — la majorité ont entre 20 et 25 ans — et presque tous ont été, dans leur enfance, engagés dans les jeunesses nazies, avant de rompre avec l’idéologie hitlérienne.
Leur engagement n’est pas militaire, ni opérationnel. C’est une insurrection de l’esprit. Leur moyen d’action : la rédaction et la diffusion de tracts appelant à la résistance contre le régime. La tonalité des textes est profondément philosophique, éthique et chrétienne, citant à l’occasion Goethe, Schiller, Novalis, Aristote ou encore la Bible. Leur cible initiale est la sphère intellectuelle : enseignants, médecins, libraires, écrivains. L’ambition : réveiller les consciences et provoquer un sursaut moral.
Tracts et conscience : une parole lucide
Le premier cycle d’action, entre juin et juillet 1942, voit paraître les quatre premiers tracts. Rédigés dans une langue soignée, ils dénoncent la dictature nazie, son mépris de la dignité humaine, sa violence raciale et sa négation de toute pensée libre. Très tôt, ils abordent le sort des Juifs et posent la question de la responsabilité collective du peuple allemand.
Le deuxième tract se distingue par la vigueur de son interpellation. On peut y lire :
« Depuis la mainmise sur la Pologne, trois cent mille juifs de ce pays ont été abattus comme des bêtes. […] Chacun rejette sur les autres cette faute commune, chacun s’en affranchit et continue de dormir, la conscience calme. Mais il ne faut pas se désolidariser des autres, chacun est coupable, coupable, coupable. »
Une telle lucidité, en 1942, alors même que l’ampleur du génocide n’est encore connue que par bribes, témoigne d’une conscience morale exceptionnellement précoce. Ce ton sans concession se renforce après l’expérience directe de la participation de certains d’entre eux à la guerre.

© Julie BELLIOT
L’expérience du front : du doute à la certitude
À l’été 1942, trois membres — Hans Scholl, Alexander Schmorell et Willi Graf — sont incorporés comme infirmiers sur le front de l’Est. Ce qu’ils y voient dépasse leurs pires pressentiments : villages brûlés, blessés abandonnés, exécutions sommaires, massacres de civils. Schmorell, d’origine russo-allemande, refuse de considérer cette guerre comme une lutte idéologique contre le bolchevisme ; il y voit une guerre impérialiste menée contre le peuple russe.
De retour à Munich à l’automne, les jeunes résistants reprennent leur action avec une détermination accrue. Le cinquième tract, coécrit avec le professeur Huber en janvier 1943, élargit la cible : il s’adresse désormais à l’ensemble de la population allemande. Il propose un modèle d’Allemagne post-hitlérienne fondé sur le fédéralisme, le refus du militarisme prussien et l’ouverture européenne. La portée politique du texte est manifeste. Le groupe commence à organiser une diffusion à grande échelle, jusque dans d’autres villes (Stuttgart, Vienne, Hambourg…).
La défaite de Stalingrad : un point de bascule
Le 6e et dernier tract, rédigé en février 1943, est une réaction directe à l’annonce de la défaite allemande à Stalingrad. Ce tournant majeur de la guerre est interprété par la Rose blanche comme l’effondrement irréversible du projet nazi. Le tract, intitulé “Camarades d’étude !”, s’adresse spécifiquement aux étudiants, futurs soldats enrôlés dans une guerre qu’ils n’ont pas choisie. Il les exhorte à résister à la mobilisation forcée et à rompre avec le silence complice.
Ce dernier tract est tiré à près de 3 000 exemplaires. Dans un geste hautement symbolique, Hans et Sophie Scholl décident le 18 février 1943 de le disperser au sein même de l’université. C’est ce jour-là qu’ils sont arrêtés, trahis par le concierge, puis conduits à la Gestapo.
Répression et postérité
Quatre jours après leur arrestation, le 22 février 1943, Hans et Sophie Scholl, ainsi que Christoph Probst, sont condamnés à mort et guillotinés après un procès expéditif devant le Tribunal du peuple. Dans les semaines suivantes, Willi Graf, Alexander Schmorell et Kurt Huber subissent le même sort. Au total, une quarantaine de personnes seront emprisonnées pour leur complicité réelle ou supposée.
Malgré la brièveté de son existence — moins d’un an —, la Rose blanche laisse une empreinte singulière dans l’histoire de la résistance européenne. Elle démontre qu’il fut possible, au sein même de la jeunesse allemande, dans un environnement de propagande et de peur, de formuler un refus pacifique, argumenté, fondé sur des valeurs spirituelles et philosophiques.
Julie BELLIOT
Les six tracts de la Rose blanche sont accessibles en ligne en cliquant ici.
Bibliographie
- “La rose blanche défie le nazisme.” Histoires de musique, France musique, 1er novembre 2020. https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/histoires-de-musique/la-rose-blanche-defie-le-nazisme-8620590
- Musée du quai Branly – Jacques Chirac. “La rose blanche, mouvement de résistance allemand au nazisme”. Youtube, mis en ligne en 2020, https://m.youtube.com/watch?v=yE1Ezn85gCY. Consulté le 29 juillet 2025.
- ALLEVI, Jean-Jacques. “Sophie Scholl et le dernier tract de la Rose blanche” GEO, 2024, https://www.geo.fr/histoire/sophie-scholl-et-le-dernier-tract-de-la-rose-blanche-219947. Consulté le 30 juillet 2025.
- MEHRINGER, Hartmut. “La Rose blanche.” Chemins de mémoire, 2023, https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/la-rose-blanche. Consulté le 30 juillet 2025.
- Scholl, Inge. La Rose blanche, six Allemands contre le nazisme. Les Éditions de Minuit, 2008.