Histoire en balade

La Rus’ de Kiev : l’avancée vikings dans l’Est de l’Europe

Un vent froid souffle sur Kiev depuis le Dniepr, Oleg contemple son œuvre achevée. Depuis 882, date à laquelle il a fondé la Rus’ de Kiev, il n’a de cesse d’étendre son territoire et d’unifier politiquement cette multitude de cultures, de langues et d’individus sous son contrôle. C’est cette même année qu’il prend Kiev aux deux frères, Askold et Dir, les souverains de Varègues de Kiev, pour en faire la capitale de son empire naissant. Son souhait, qu’elle devienne la “mère de toutes les villes russes”. Ces villes “russes” ou plutôt « Rus », représentent ce territoire contrôlé par les Varègues, depuis la mer Baltique jusqu’à la mer Noire. Un territoire immense, habité par des populations très différentes en tout, et qui n’ont de points communs que leurs gouvernants.

© Wikipédia, Carte de la Rus’ de Kiev
© Wikipédia, Carte de la Rus’ de Kiev

La création de la Rus’ et son développement

La quête des Varègues (Vikings) est non seulement celle de l’enrichissement, mais aussi celle d’une sédentarisation dans des terres plus propices à la vie. C’est une culture née du manque et de l’âpreté de l’environnement, où la question de la survie est omniprésente. C’est notamment pour cette raison qu’ils cherchent de nouvelles terres, fertiles, où le climat est plus clément.

Dans leur organisation politique, les populations nordiques ne sont pas centralisées autour d’un seul pouvoir, mais plutôt autour d’entités féodales, régionales. Ainsi les Danois se dirigent plus vers l’Ouest, vers l’Angleterre et la Francie, tandis que les Norvégiens se dirigent vers l’Océan, vers l’Islande et le Groenland. Mais les Suédois préfèrent continuer leurs aventures à l’Est, cette fois-ci, en dépassant les pays baltes. Ils suivent les routes commerciales via les fleuves et notamment la Volga. Se dirigeant vers le Sud, ils prennent Novgorod, Beloozero et d’autres points clefs. Leur but est clair : contrôler les voies commerciales sur un axe Nord / Sud. Cette position leur permet d’accumuler suffisamment de puissance pour rivaliser avec les nomades des steppes criméennes et ainsi dominer toutes les terres entre la mer Noire et la mer Baltique.

Le premier Varègue, selon la légende, est Riourik, qui s’empare de la nouvelle ville, Holmgard (Novgorod). La ville devient le point central de son pouvoir et la rampe de lancement des invasions à suivre. C’est Oleg, dit le Sage, qui après avoir usurpé le pouvoir à Igor (fils de Riourik) continue son projet.

Oleg, dit le Sage par les Chroniques de Nestor, consolide cet héritage et met en place une domination hybride. Il conserve les traditions locales, change les élites, mais s’adapte progressivement à la langue locale (slave) tout en acceptant les différentes cultures et religions.

En effet, ces conquérants venus du Nord ne partagent rien avec les populations qu’ils gouvernent. Ils sont de religion nordique, de culture suédoise pour la plupart et de langue nordique. Toutefois, ils s’adaptent, très vite, pour mieux contrôler leur territoire. Mais rappelons-nous également que l’un des grands objectifs des Vikings n’est pas juste de piller ou de dominer, mais de s’installer et de proliférer dans un environnement propice. Après la conquête du territoire immense que gouverne la Rus’ de Kiev, ils peuvent enfin s’arrêter et se sédentariser à nouveau. De ce fait, ils commencent à se convertir à l’orthodoxie, commencent à parler les langues slaves, notamment dans les documents légaux. Ils commencent aussi à s’habiller selon les coutumes locales. En bref, ils deviennent slaves.

Malgré cette adaptation remarquable, ils conservent certaines traditions principalement, leur mode de gouvernance, en partie féodal et en partie tribal. De même, ils conservent leurs aptitudes commerciales et guerrières et transfèrent aussi aux cultures proches d’eux, ces capacités.

Au fait de leur puissance

Au fait de sa puissance, Oleg tente l’inconcevable : prendre Constantinople, la ville de tous les désirs. En 907, il attaque l’Empire Byzantin avec 80.000 hommes, et prend la région sans toutefois venir à bout des fortifications théodosiennes. Sans pouvoir prendre la ville  en ayant porté un grand coup aux Byzantins, il repart cependant avec un million de grivnas (Unité de poids de mesure en argent). Par cette démonstration de force, Oleg donne une légitimité nouvelle à son Empire, qui devient une puissance légitime aux yeux de Byzance. Cela se voit en 912, lorsqu’un traité commercial est signé entre les deux puissances. Toutefois la même année, Oleg décède, et c’est Igor de Kiev qui prend le trône. Tout en conservant l’héritage de son prédécesseur, il veut le surpasser. En 941, il tente à son tour de prendre la ville de tous les désirs, avec une force similaire. Mais le résultat est le même. Les murs ne tombent pas.

En 945, il signe un nouveau traité commercial avec Byzance. Mais cette fois-ci, le traité est à l’avantage des Varègues et de leurs marchands, qui accèdent désormais librement aux marchés de l’Empire Romain d’Orient. Ce traité commercial qui en somme ne nous renseigne que peu sur la Rus’ de Kiev, nous montre en réalité la place majeure que cet empire de l’Est a pris sur la scène internationale. Les privilèges consentis par Byzance en sont la preuve. La Rus’ de Kiev traite dès lors en égal avec l’Empire Romain, ce qui lui donne une nouvelle source de légitimité, notamment vis à vis des Occidentaux, qui continuent de révérer l’Empire.

© Pinterest, Guerrier Varègue
© Pinterest, Guerrier Varègue

Dominer ou vivre en société ?

Dans la tradition nordique, la religion n’est pas imposée, elle est personnelle. Ces croyances mythologiques sont ancrées dans les traditions orales, dans une perception vivante du divin. Par la conquête des espaces orthodoxes à l’Est, les Vikings se convertissent petit à petit à cette religion de martyrs. Ils la connaissent déjà sous sa forme romaine, via l’Angleterre et la Francie, mais découvrent de nouveaux rites, spécifiques à l’Est de l’Europe. Dans cette conversion, les dirigeants de la Rus’ de Kiev n’imposent pas de conversions forcées, et n’oppriment pas les autres croyances. De la même manière que l’Empire Romain en son temps, les Vikings sont curieux, s’adaptent aux cultures et les assimilent plutôt que de les détruire. Toutefois, il y a une condition importante. Il faut accepter de se soumettre à leur pouvoir politique, payer les taxes et les impôts. Tant que cette condition est respectée, alors cultures, langues et religions aussi diverses soient elles sont acceptées par les Varègues.

Ils vivent donc en société, au milieu des cultures, mais forment une nouvelle élite, militaire autant que politique. Contester leur autorité entraîne une sentence de mort.

La Rus’ de Kiev est un Etat peu connu, peu étudié en Europe. Pourtant il a participé à la consolidation et à la christianisation de l’Europe de l’Est, à la formation d’Etats centralisants et féodaux, dont les héritiers modernes continuent d’exister.

La Rus’ de Kiev fait partie des premières victimes des invasions mongoles au XIVe siècle et est en grande partie remplacée par la Horde d’Or puis par la Grande Horde. Mais l’héritage de cet Etat multiculturel a survécu, notamment autour de la Moskova et de Novgorod, donnant ensuite lieu à l’Etat Russe, mais aussi à des héritages forts en Lituanie, en Pologne ou encore en Ukraine et en Biélorussie.

Tim PETIT

Bibliographie

  • Pierre GONNEAU, La Rus’ de Kiev, une société féodale?, Journal des Savants, 1999, pp 167-225, Persée.

  • Chronique des Temps Passés, aussi dite Chronique de Nestor, ca. 1111, Chronique de Nestor – Naissance de la Rus’ de Kiev, récit des temps passés, Jean-Pierre ARRIGNON, mai 2022, Anacharsis.

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