Le corps des femmes à travers les âges
L’ouvrage de Stanis Perez est un ouvrage bienvenu car les études portant sur ce sujet restent limitées et ces recherches apportent un éclairage essentiel sur la perception du corps de la femme tout au long de l’histoire.
L’historien expose dans l’avant-propos qu’il nomme « Le ʺcomplexe de Cléopâtre ʺ », ce qui l’a conduit à se concentrer sur le corps des femmes. En s’appuyant sur une citation de Pascal, « Le nez de Cléopâtre : s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé », Stanis Perez ouvre la réflexion à la raison de ses recherches. Ainsi il introduit comment les qualités physiques de la femme jouent un rôle déterminant dans les sociétés essentiellement patriarcales, y compris en politique. L’historien propose de réfléchir sur la place et la parole des femmes dans la société qui, selon les périodes historiques, ont changé, en commençant par le Moyen Âge.
L’étude se décompose en quatre grandes parties, découpées en périodes allant du Moyen Âge à l’époque contemporaine, mettant en avant les rapports de pouvoir et de savoir qui se sont greffés à l’anatomie féminine. Les analyses de chaque période, elles-mêmes divisées en plusieurs thématiques, sont fidèles au sous-titre de l’ouvrage. On y retrouve autant le fantasme induit par la beauté et le corps désiré que le corps souffrant.
											Perez Stanis, Le corps des femmes, Mille ans de fantasmes et de violences XIe-XXIe siècles, Paris, Perrin, 2024.
La première partie se consacre à l’étude de la femme au Moyen Âge. Cette partie est essentielle car, si les études sur le corps se sont développées progressivement depuis que Jacques Revel et Jean-Pierre Peter, en 1974, déploraient que le corps était absent de l’histoire, le corps féminin du Moyen Âge reste un objet de recherche récent.
Stanis Perez s’efforce de placer la perception du corps féminin dans l’ensemble de ses caractéristiques. L’ouverture de la première partie se fait sur le corps virginal de Marie, et présente comment le corps de la Vierge est devenu un objet de réflexion au cours du Moyen Âge. Le corps qui a porté le Rédempteur était-il beau ? La question est centrale car la beauté de la Vierge a son importance au Moyen Âge (dans la période du XIIIe au XVe siècle), au point que son image représente les canons de beauté de l’époque. Afin d’appuyer ses propos, Stanis Perez s’appuie sur les écrits de Jean de Meung qui voit Marie en son Codicille comme « la Dame en qui beaulte tout paradis se mirent ». Stanis Perez y voit une forme de fascination pour ce corps protecteur, et salvateur, qui en plus peut être séduisant. On ne peut que saluer l’approche de Stanis Perez et surtout sa façon de traiter de l’importance de l’apparence des femmes en prenant pour modèle la Vierge Marie. L’ouverture de ce chapitre est directe et entre immédiatement dans le vif du sujet. Si le corps de Marie peut être un objet de beauté, et que l’on puisse s’autoriser cette réflexion concernant la mère du Christ, comment ne pas se l’autoriser avec plus d’aisance pour une femme ordinaire ? En posant cette interrogation il montre comment la perception du corps féminin s’est développée en prenant ses bases au cours du XIIe siècles.
Au-delà des critères de beauté imposés aux femmes, Stanis Perez ouvre la réflexion aux corps souffrants. L’acceptation du martyre montre combien le poids de la religion porte sur les corps. Les femmes cherchent à purifier leur corps en acceptant la douleur et la meurtrissure de leurs chairs. Ce corps souffrant, décidé par la propriétaire de l’enveloppe charnelle, peut aussi être un corps souffrant sous contrainte. Stanis Perez présente avec méthode les corps des femmes en souffrance en s’appuyant sur des enluminures conservées dans des manuscrits tels que celles qui relatent le martyre de Sainte Agnès, où la beauté et le martyre sont associés dans une seule image. Stanis Perez met en avant le thème du viol dans les textes médiévaux. Il aborde ainsi le consentement, y compris dans le cadre du mariage. Ce sujet traité par Manuel Guay permet de revoir la place de la parole des femmes dans une société à dominance masculine.
La place du corps de la femme dans l’historiographie
L’historien rappelle que les travaux de Georges Duby ont conduit à la réflexion sur le « machisme » médiéval. Mâle Moyen Âge a permis de réfléchir à la place de la femme mais n’a pas forcément été perçu comme la volonté d’un équilibre entre les deux sexes, selon Stanis Perez, et il incite et reproche même, de façon justifiée, la diabolisation de l’homme médiéval par certains de ces auteurs. D’ailleurs il souligne, et à juste titre, que faire une historiographie féminine demande de ne pas tomber dans le féminisme. Mais il rejette l’historiographie du genre alors que, par exemple, les travaux de Didier Lett ont permis de cadrer cette notion pour la période médiévale. L’étude du genre permet l’étude de l’homme et de la femme sans stigmatiser l’un des deux sexes et d’apporter une recherche équilibrée entrer l’un et l’autre.
En adaptant trois grandes thématiques (beauté, souffrance et liberté du corps) aux périodes étudiées, Stanis Perez nous ouvre la réflexion sur l’évolution de la perception du corps féminin mais aussi à la conscience féminine de son propre corps et de son espace d’action.
C’est là que l’ouvrage de Stanis Perez s’avère innovant : les études sur l’histoire des femmes se développent, encadrées dans une période définie, mais l’historien fait une approche essentielle, celle du corps. Jamais étudiée auparavant, l’histoire de ce corps permet une approche novatrice et permet de remettre en question l’image de la femme contrainte par l’homme. La femme a su aussi prendre possession de son corps et s’opposer tout au long de l’histoire. Avec des exemples à l’appui, Stanis Perez déconstruit des idées ancrées sur la domination du corps féminin. Oui il y a eu domination, mais il y a aussi eu rébellion et volonté de gérer ce corps. Il exclut que le corps féminin ait été plus stigmatisé que le corps masculin.
Les travaux de Stanis Perez apportent un éclairage bienvenu pour un sujet délaissé par l’historiographie. Il exploite des sources connues et déjà étudiées, mais son regard neuf et le changement de paradigme sur ces sources permettent de construire une recherche renouvelée sur le corps des femmes. Ils entrent en résonance avec les recherches de Georges Vigarello ou bien encore Manuel Guay qui se sont intéressés à la perception du corps mais aussi à la représentation de ce dernier à travers les âges.
Noémie PICOT