Histoire en balade

Le Struthof : un camp de concentration en France

L’Alsace connaît une histoire ballotée entre l’Allemagne et la France. Après la Première Guerre mondiale, la région retourne dans le giron français. Les Vosges sont un lieu privilégié pour les loisirs et le Mont-Louise est très apprécié par les Alsaciens qui viennent profiter de la neige. L’annexion de l’Alsace par l’Allemagne transforme ce petit paradis en enfer quand les nazis y installent un camp de concentration.

1941, le début de l’horreur

En 1941, Himmler, chef de la SS ordonne l’ouverture du camp : l’objectif est d’exploiter le granite rose pour les travaux du Reich. Les détenus, venus de toute l’Europe, travaillent dans les carrières de granite.Le Struthof est un camp dit « fermé », c’est-à-dire qu’il ne reçoit que des détenus qui proviennent d’autres camps de concentration. Mais dès 1942, il devient un camp ouvert, pouvant recevoir les détenus envoyés par les services de sécurité nazis. Le Struthof devient un des camps les plus durs du système concentrationnaire. Il est le camp principal de 70 camps annexes.

Les détenus sont des Juifs, des opposants politiques notamment  des résistants français, des Tziganes, des homosexuels, des témoins de Jéhovah. Les femmes sont elles aussi détenues dans des conditions extrêmement difficiles. Seules deux maisons sont en place, vestiges d’une époque heureuse : l’auberge qui permettait aux touriste de se restaurer avant la guerre est devenue le siège de la Kommandantur et l’autre maison accueille la chambre à gaz. Les premiers détenus construisent les baraques pour les loger, la baraque crématoire, la baraque dite « Bunker », la baraque des cuisines. Ils construisent aussi les escaliers du camp, en grès. Cette tâche est d’une extrême difficulté physique car l’extraction de cette pierre est laborieuse, plus encore pour des corps mal nourris.

La composition matérielle du camp

Le camp est étendu sur deux zones : une zone comprenant la chambre à gaz et la Kommandantur, une autre zone entourée de barbelés. Dans cette dernière, les baraques pour loger les prisonniers témoignent du nombre de personnes retenues dans le camp. Il n’en subsiste plus qu’une debout mais les emplacements des autres restent bien marqués. Dans le bas du camp se situent deux baraques qui témoignent de l’horreur du camp : la baraque crématoire et la baraque dite « Bunker ».

Le Struthof - entrée du camp
Entrée du camp, Crédit photo Noémie Picot.

Le bunker est le lieu où les prisonniers étaient enfermés lorsqu’ils avaient commis une faute selon le règlement du camp. Chaque cellule pouvait contenir 20 détenus dans des conditions inhumaines, avec une alimentation faible voire rare. Les petites annexes qui jouxtentt les cellules ne mesurent qu’un mètre vingt de haut et sont destinées aux condamnés à mort. Ils y passaient trois jours avant leur exécution, ne pouvant ni se tenir debout, ni s’allonger.

La cabane crématoire renferme deux lieux d’horreur du camp : la pièce destinée aux expériences et le four crématoire. Elle avait aussi une autre fonction : celle de l’admission. Les détenus se déshabillaient à leur arrivée pour revêtir l’uniforme rayé. Il leur était remis le triangle qui précisait la cause de leur détention sur leur uniforme. Ils perdaient dès cet instant leur identité et ne devenaient que des numéros de matricule.

1942 : Début des expériences sur les humains

L’Université de Strasbourg s’échappe à Clermont-Ferrand au début de la guerre et ses bâtiments sont occupés par les universitaires allemands. La chambre à gaz, prête à fonctionner en 1943, s’inscrit dans le cadre des expérimentations commencées dès 1942. L’objectif est de poursuivre les recherches sur les théories raciales nazies. August Hirt, professeur en embryologie, en anatomie et en histologie, SS notoire, fait venir des déportés du camp d’Auschwitz afin de mener ses expériences. Les déportés sont exécutés en août 1943 et leurs corps sont transportés à l’institut d’anatomie de l’université allemande de Strasbourg. Ils sont placés dans des cuves d’alcool, et à la libération en 1945, les alliés découvrent l’horreur : les restes des 86 corps ainsi que les corps de prisonniers soviétiques que Hirt faisait venir pour ses cours de dissection. En 2016, des restes humains sont à nouveau découverts à l’université.

Le four crématoire, Crédit photo Noémie Picot
Le four crématoire, Crédit photo Noémie Picot.

La chambre à gaz était un haut lieu d’expériences, et les prisonniers étaient utilisés comme « cobayes ». A des fins militaires, le gaz phosgène était testé sur les détenus afin de voir combien de temps ils pouvaient survivre après le gazage, mais aussi pour étudier les conséquences du gaz sur les survivants.

Le camp en chiffres

Le camp du Struthof comptabilise 52 000 détenus, et près de 22 000 morts, sur quatre années, entre 1941 et 1945. Il se situe à 800 mètres d’altitude dans les Vosges de par sa position, les détenus vont subir des conditions météorologiques intenses :  le vent glacial de l’hiver, la neige, les températures négatives dans des baraques non chauffées.

Dans le cadre des expériences médicales, 89 juifs sont sélectionnés pour la collection de squelettes destinée à l’étude des théories raciales du IIIe Reich. A la libération de Strasbourg, les Français découvrent 150 cadavres dans les cuves d’alcool de l’institut d’anatomie, 16 corps complets destinés à la collection de Hirt et de nombreux restes de corps découpés à la scie. Les recherches ont permis de redonner des noms à chacune des victimes qui sont maintenant inhumées à Strasbourg. Les condamnés viennent de toute l’Europe, plus de 28 nationalités sont passées dans ce camp et on comptabilise 70 camps annexes qui dépendent du Struthof, preuve de l’importance du camp.

Les repas sont quasi absents et les détenus partent au travail de 6h à 18h avec un café pour seul aliment, et à leur retour ils reçoivent une très maigre ration de nourriture. La faim est une obsession et les détenus en arrivent à envier la gamelle des chiens des SS.

Un camp oublié

Le camp du Struthof reste peu connu, occulté par des camps aux noms marqués dans l’histoire par l’ampleur de l’horreur. Toutefois il est un élément essentiel dans la machine infernale du meurtre de masse mis en place par le IIIe Reich. Le camp du Struthof est un lieu de mémoire caché au cœur des Vosges, invisible, laissant l’horreur se dérouler à l’abri des regards. C’est le seul camp de concentration placé sur le territoire français. 80 ans après sa libération, il reste un lieu méconnu. Ce site a récemment fait l’objet de fouilles archéologiques, pour tenter de comprendre le travail des déportés au sein de la carrière et du camp.

Noémie PICOT

Cet article fait partie d’un dossier consacré à la Seconde Guerre mondiale. La thématique fera l’objet d’une large ouverture sur l’ensemble du conflit.

Conseil de lecture

  • Steegmann Robert, Le camp de Natzweiler-Struthof, Paris, Seuil, 2019.

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