PrettyLoud : entre aventure musicale et acte politique
- Divertissement, Histoire de l’art
 - Femmes, Musique
 - 12/07/2025
 
“They (GRUBB) named us “PrettyLoud” because they knew that women in Roma tradition are not really loud”. A Belgrade, douze jeunes femmes mènent de front une révolution culturelle à travers le hip-hop. Elles combinent le rap et la danse qui deviennent les instruments de leur résistance. Le groupe est essentiel pour comprendre dans quelle mesure l’histoire s’écrit encore aujourd’hui et depuis les marges. Leur pratique artistique s’intègre à une dynamique d’émancipation des femmes roms alors que leur contexte social est marqué par la marginalisation, la précarité et la discrimination systémique.
Quand les filles prennent le micro
Le groupe PrettyLoud émerge à Zemun, un quartier rom de Belgrade, dans le cadre d’un programme éducatif nommé GRUBB (Gypsy Roma Urban Balkan Beats). Ainsi, en 2014 le premier groupe de rap rom féminin voit le jour en Serbie. Il est composé de jeunes femmes âgées de 14 à 27 ans. C’est une voix nouvelle qui se fait entendre en Europe. En effet, les roms sont présents depuis plusieurs siècles sur le continent européen. Pour autant, les communautés sont encore fortement stigmatisées, notamment dans les Balkans. En Serbie, les femmes roms sont souvent confrontées à des formes multiples d’exclusion.
A travers leurs performances, PrettyLoud raconte la réalité des femmes roms en Serbie, dont la jeunesse est souvent oubliée au profit des mariages précoces. Elles racontent également l’exclusion scolaire, le racisme mais aussi la richesse de leur héritage et de leur musique. Leur position se manifeste alors par leur musique mais également par une prise de parole publique et médiatisée abattant tout à fait les stigmates dominants associés aux roms et en particulier aux femmes roms.
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Syncrétisme musical
Les productions du groupe PrettyLoud sont singulières puisqu’elles sont le résultat de la fusion de cultures distinctes. Les chanteuses mobilisent des normes esthétiques très actuelles tel que le rap, les clips vidéo ou encore les chorégraphies qu’elles font intervenir simultanément avec une réinterprétation d’éléments de la culture romani (musique traditionnelle, langue).
Le médium est intéressant. Il résonne comme une stratégie de visibilité dans la mesure où le rap est un genre historiquement associé à la contestation, à la revendication. Il permet de verbaliser un récit sur les réalités des populations marginalisées et de valoriser, de légitimer l’oralité comme source de savoir. Par les productions de Pretty Loud, les femmes intègrent donc le récit.
Féminisme, politique et pédagogie
L’investissement des douzes jeunes rappeuses s’intègre à un féminisme “situé”, c’est-à-dire qu’il raisonne selon une réalité sociologique spécifique. Autrement dit, les protestations de PrettyLoud s’orientent plutôt autour des rapports de dominations croisés, soit, de genre, d’ethnie et de classe. De cette façon, elles s’adressent à leur communauté d’une part (au sein de laquelle les normes patriarcales sont encore très intériorisées) et à la société majoritaire d’autre part.
Mais leur engagement s’étend au-delà de leurs performances artistiques. Les membres du groupe participent à des programmes et à des actions éducatives (dans le cadre du projet GRUBB). Ces interventions sont à destination des enfants et jeunes roms notamment des filles. Les artistes sont reconnus dans un contexte international puisque le groupe se présente à des événements tels que le Women of the World Festival de Londres en 2020.
Finalement, la mobilisation des jeunes artistes relève de l’activisme culturel. Il ne s’agit pas seulement pour ces jeunes femmes de contribuer à la production artistique mais de l’appréhender comme au service de revendications, d’une révolution. Le groupe PrettyLoud témoigne alors de la manière dont les réalisations culturelles minoritaires peuvent être des vecteurs d’autonomie, de reconnaissance et d’interrogation vis-à-vis des rapports de dominations existants.
Lou GUERIN
Bibliographie
- Associated Press (AP), “Serbian Roma girl band sings for women’s empowerment”, 2021 : Serbian Roma girl band sings for women’s empowerment | AP News
 - Euronews, “Meet the Roma girl band empowering women and challenging stereotypes”, 2021 : Rencontre avec le groupe de filles roms qui donne du pouvoir aux femmes et défie les stéréotypes | Euronews
 - Balkan Insight, “From Belgrade to London, Roma girl band sings for female empowerment”, 2021 : De Belgrade à Londres, un groupe de filles roms chante pour l’émancipation féminine | Aperçu des Balkans
 - Youtube, Scenes : Meet the Roma girl band empowering women, 2021 : Scenes: Meet the Roma girl band empowering women and challenging stereotypes
 - Women of the World Festival : WOW Day of the Girl: Pretty Loud | « Why should I be quiet when I have such big goals? » Just in time for #DayoftheGirl, Serbia’s Pretty Loud have released a new video about fighting for… | By WOW – Women of the World Festival | Facebook
 - GRUBB foundation : Home – GRUBB
 - Piasere Leonardo, “Les Roms sont-ils un peuple ?”, Ethnologie française, 33, p. 49-58, 2003.