Sunnisme et chiisme : l’histoire d’une division
La division entre sunnites et chiites est une histoire politique tout autant que religieuse, qui prend racine au VIIe siècle de notre ère. À la mort du Prophète, Mohammad, en 632, aucun successeur n’a été désigné. Les croyants doivent alors en choisir un, mais la question se heurte à des tensions politiques, ethniques et familiales. Les Muhâjirûns (ceux qui ont migré avec le Prophète pendant l’Hégire de 622), issus de la tribu des Quraysh, désignent Abû Bakr.
Ce dernier est l’un des généraux du Prophète, ainsi que son beau-père (Muhammad ayant été marié à sa fille, Aisha). S’il est soutenu par les Muhâjirûns, les Ansars, la tribu provinciale de Médine, souhaite reprendre le contrôle politique de leur ville, et ainsi faire élire l’un d’entre eux au rôle de Khâlifat Allâh (Calife). La longévité de son ralliement à Muhammad et son service pour la foi permettent à Abû Bakr d’emporter la victoire. Sans être unanime, il fait consensus auprès d’une grande majorité. C’est le début de ce que l’on nomme les Califes Rashidûns, également dit les « Biens-guidés”. L’une des priorités de Abû Bakr est non seulement de conserver l’unité de cet empire naissant, mais aussi de l’étendre, dans la Péninsule Arabique, et aussi vers les frontières du puissant Empire Romain d’Orient.
À partir de 632-634, l’Empire de l’Islam s’attaque donc au Sham (Syrie, Jordanie, Palestine). Ce territoire est clef dans le succès de l’expansion des Califes, militairement et commercialement. En effet, cette région est centrale dans le commerce entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, en faisant donc un espace important à contrôler. Si Abû Bakr meurt en 634, sans pouvoir voir le résultat de ses campagnes, son successeur, Umar (également un compagnon de Muhammad) continue son œuvre.
En l’espace de 17 années de conquêtes, sous deux Califes (Umar, de 634 à 644, et Uthmân, de 644 à 656), l’Empire s’étend de l’Afrique du Nord à la Perse, et du Yemen à l’Asie Mineure. Cette avancée incroyable, terrassant deux empires (Byzantin et Sassanide) est arrêtée, momentanément, par l’assassinat de Uthmân, de la dynastie des Umayyades, par un cortège de 600 personnes.
La Grande Fitna ou la première discorde du monde arabe
Suite à la mort de Uthmân, Ali est choisi pour devenir le Khâlifat Allâh à sa suite. Ce dernier est le gendre du Prophète, de même que son cousin. Toutefois, il ne fait pas consensus parmi les élites de l’Empire. Sa prise de pouvoir est suivie par de grandes tensions sociales, et de multiples révoltes, notamment dans la péninsule arabique. Les premiers combats sont déclenchés sous le commandement de Aisha, veuve de Muhammad et fille de Abû Bakr, en s’alliant avec Zubayr et Talha (deux compagnons du Prophète). Ils réunissent leurs troupes à Basra, en Irak, s’unissant avant d’attaquer le Calife. L’affrontement a lieu à la bataille du Chameau (dénommée ainsi car Aisha montait un chameau au cours de la bataille), en 656, près de Basra. La victoire va à Ali, lui permettant ainsi de mettre un terme aux troubles civils qui perturbent l’Empire. Ce répit n’est toutefois que temporaire. En effet, le cousin du précédent Calife, Mu’âwiya Umayyade, gouverneur du Sham, se pose en révolte ouverte face à Ali. Il est ici important de comprendre que ce que l’on désigne alors par le Sham est l’une des plus riches et des plus importante province du Dar-al-Islam (empire de l’Islam), donnant ainsi à son gouverneur des ressources exceptionnelles. Mu’âwiya s’oppose au calife, justifiant qu’Ali, une fois arrivé au pouvoir, n’a rien fait ni pour trouver les coupables du meurtre de son cousin, ni pour venger sa mort, ce qui équivaut donc à une insulte envers leur famille. Cette justification lui permet donc de réunir la puissance de sa province et de s’opposer au Calife, à partir de 657.
Cette même année, les deux protagonistes s’affrontent à la bataille de Siffîn. Après plusieurs jours de combat sans vainqueur, ils conviennent de faire appel à un arbitrage. Toutefois, aucun des deux n’est jugé digne d’emporter la victoire. Dès lors la division du monde de l’Islam, non seulement se concrétise, mais s’ancre dans une nouvelle réalité. Une paix est signée entre Ali et Mu’âwiya, qui reste toutefois fragile. Ce ne sont pas deux camps qui ressortent de cet affrontement mais trois. Il y a d’un côté, les chiites, ou les Shi’at Ali, sont ceux qui soutiennent Ali comme Calife légitime, ainsi que sa descendance. De l’autre, se trouvent les sunnites, ce qui suivent la sunna, c’est-à-dire l’orthodoxie de la foi. Ces derniers soutiennent Mu’âwiya, qui est lui-même un Quraysh (tribu d’origine du Prophète). Enfin, ne reconnaissant ni Ali, ni Mu’âwiya, se trouvent les Kharijites. Déçus par les camps, ils décident de se séparer de cette communauté. Ils existent encore aujourd’hui, tout en étant une forme très minoritaire des courants de l’Islam.
Le point déterminant de cette scission de l’Islam est l’assasinat de Ali en 661 par des Kharijites pour venger leurs frères tombés en 658 lors d’une rébellion ouverte contre le Calife. À la suite de ce décès, c’est Mu’âwiya qui prend le contrôle de l’Empire.
Le califat Umayyade
L’une des premières actions de Mu’âwiya en tant que premier calife de la dynastie des Umayyades, est de déplacer la capitale de l’Empire à Damas, laissant Médine comme un lieu religieux plutôt que politique. Ce déplacement du centre administratif a des conséquences importantes. En premier lieu, cela permet à Mu’âwiya de centraliser son pouvoir autour de ses propres terres, et de ses soutiens, plutôt qu’à Médine, qui est encore attaché aux califes Rashidûns et à un mode de vie plus tribal. Afin de stabiliser l’empire, le nouveau Calife met en place des réformes, notamment concernant la succession. En effet, si jusqu’ici le calife est choisi par ses anciens compagnons, ou par les proches du pouvoir, il sera désormais héritier direct (ou choisi) par le calife précédent. Cette réforme fait entrer l’empire arabe dans une féodalisation politique, et donc dans une modification des dynamiques de pouvoir.
La division entre sunnites et chiites, est une division à l’origine politique, initiée par des tensions dynastiques, sociales et territoriales. Toutefois, ce schisme prend des dimensions religieuses, notamment après l’assassinat d’Ali. Ce dernier est porté en martyr par ses fidèles, qui vont adapter une nouvelle forme de l’islam, ou l’imam est à la fois chef politique et religieux. Les sunnites, quant à eux, s’en tiennent à l’orthodoxie de la foi érigée par Muhammad quelques décennies plus tôt. L’imam est un clerc, dont le pouvoir politique est limité à son influence spirituelle. Le réel gouvernant est le calife.
Durant le Moyen-Âge, et à travers la période Moderne, l’Islam se divise plus politiquement que religieusement. Les conflits sont territoriaux, dynastiques, temporels, et la religion, évidemment politique, n’est pas la cause des dissensions internes de l’Empire.
Tim PETIT
Bibliographie
- Sénac, P. (2020). Chapitre 6. La première fitna et ses conséquences (852-929) Al-Andalus : Une histoire politique VIIe-XIe s. (p. 93-104). Armand Colin. https://shs.cairn.info/al-andalus–9782200625467-page-93?lang=fr
- Simon Dorso, « Emmanuelle Tixier du Mesnil et Gilles Lecuppre éd., Désordres créateurs. L’invention politique à la faveur des troubles », Médiévales [En ligne], 71 | automne 2016, mis en ligne le 01 décembre 2016, consulté le 05 septembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/medievales/7936 ; DOI : https://doi.org/10.4000/medievales.7936