Histoire en balade

Attention © Pixabay

Cet article comporte des passages qui pourraient heurter la sensibilité.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a montré l’horreur que les femmes peuvent subir en période de conflit. Les viols enregistrés lors des deux guerres mondiales n’ont pas servi à empêcher que ces crimes de guerre soient commis.

Une arme psychologique ancienne

Le célèbre épisode de l’Enlèvement des Sabines montre que le viol est une arme de guerre depuis l’Antiquité.

Pendant la guerre de Cent Ans, les mercenaires surnommés les Ecorcheurs, entre deux batailles, n’hésitaient pas à commettre les pires exactions et le viol faisait bien évidemment partie de ces horreurs. Quelques affaires portées en justice permettent de voir que la parole des femmes est tout de même écoutée mais la sentence est bien légère par rapport à la souffrance de ces femmes. Rares sont les campagnes militaires qui n’enregistrent pas des actes de viols.

Nicolas Poussin, L’enlèvement des Sabines, 1634, Metropolitan Museum of art.
Nicolas Poussin, L’enlèvement des Sabines, 1634, Metropolitan Museum of art.
Le XXe siècle, l’apothéose de l’horreur

L’occupation, un terrain propice au viol

La Première Guerre Mondiale n’est pas en reste, mais la Seconde laisse un vif traumatisme sur les violences sexuelles subies par le sexe féminin au cours du conflit.

Le 10 mai 1940, l’armée allemande lance son offensive vers l’Ouest. La peur engendrée par les souvenirs de 1914 met huit millions de personnes sur les routes.  Cette peur est la conséquence des exactions commises en 1914-1918.

Face à l’avancée de l’armée d’Hitler dans l’Ouest, la Bretagne est touchée par une vague de viols perpétrés par l’armée allemande. Quelques mentions de viols par les SS relatent la barbarie :

« Les Boches se présentèrent chez une femme veuve âgée de soixante ans habitant avec sa bru, son fils étant mobilisé. Ils enfoncèrent une fenêtre, la bru se réfugie à l’étage et saute par la fenêtre pendant que trois de ces satyres se livrent à des actes odieux sur sa belle-mère. La pauvre femme a préféré se sacrifier pour que son fils blessé sur son lit d’hôpital à Bordeaux puisse à son retour retrouver sa femme sans tâche. Ces actes abominables furent répétés, mais les victimes préfèrent se taire. » (Archives nationales (AN), BB/30/1890, Renseignements généraux, automne 1944.).

 D’autres récits atroces tels que le viol de deux femmes par un officier allemand devant quatre enfants terrorisés sont répertoriés dans les archives. Difficile de lire ces archives tellement elles touchent l’historien qui s’y trouve confronté : l’officier allemand fait retirer leur culotte aux deux femmes et prend le temps de détailler le sexe de chacune d’elles afin de “choisir « le sexe qui lui convient le mieux…

Juger

Lorsqu’ils sont retrouvés les violeurs sont poursuivis devant les tribunaux militaires, comme l’exigeait le code pénal allemand. Les femmes résistantes qui étaient arrêtées subissaient le viol des hommes de la Gestapo, comme une forme de torture pour les faire parler. Ces viols en revanche ne semblent pas entrer dans le cadre de la condamnation par les tribunaux.

Berlin 1945

On comptabilise plus de deux millions d’Allemandes violées, tous âges confondus, lors de la prise de Berlin en 1945. Les mères de famille violées sous les yeux de leurs enfants, les femmes âgées, les femmes enceintes, les adolescentes et les petites filles. Comment oublier le témoignage de cette mère qui tient la main de sa petite fille de six ans pendant qu’un soldat russe viole l’enfant avant de violer la mère ensuite ? Des témoignages ont vu le jour et Une femme à Berlin est un témoignage exceptionnel, relaté par une femme de 34 ans au moment des faits. Elle parle des violences mais aussi des moyens de “survie” face aux viols répétés plusieurs fois sur la même femme et comment ces femmes, pour survivre réfléchissent à “supporter le viol négocié”. Certaines vont jusqu’à “choisir” leur violeur afin de ne pas passer dans les mains d’autres violeurs. Celui qui a violé pour la première fois devient le violeur “attitré”.

Normandie, 6 juin 1944

Les libérateurs ne sont pas exempts de crimes tels que le viol. Les GI, souvent alcoolisés, ont commis des viols sur les femmes normandes. Il est difficile d’admettre que les libérateurs aient pu être des bourreaux mais pourtant, ces viols souvent tus afin de ne pas entacher l’image des sauveurs, ont bien eu lieu. Au cours du mois de juin 1944, 175 soldats américains violent des femmes en Normandie. L’armée américaine souhaite conserver son image et elle enquête principalement sur les viols commis par des soldats noirs traitant avec beaucoup moins de priorité les viols commis par les soldats blancs. Ils sont pour certains conduits à la potence et les victimes reçoivent une somme d’argent. Le racisme est au cœur des jugements des violeurs en Normandie. Une femme violée par un homme noir avait plus de chance d’être écoutée qu’une femme violée par un homme blanc.

Szumczyk, Komm, Frau (viens, femme), 2013.
Szumczyk, Komm, Frau (viens, femme), 2013.

La seconde guerre mondiale, et après ?

Il faut attendre 1977 pour que le viol soit inscrit comme crime de guerre dans la Convention de Genève. Mais il faut relativiser car les deux protocoles de 1977 ne permettent pas de considérer le viol comme une infraction grave. De plus, l’historiographie reste sourde à un sujet aussi sensible. Les viols des femmes russes par les Allemands, des Russes sur les Allemandes mais aussi l’esclavage sexuel dans les camps de concentration, pour ne citer que ces atrocités, sont un sujet peu abordé par les historiens. Ils n’étaient pas encouragés à faire remonter ces souvenirs dans la mémoire collective. En 2001, un pas est franchi : le Tribunal pour le Rwanda élargit la notion de viol à celle d’agression sexuelle, « dont le viol est une manifestation » possible et qui « est considérée comme tout acte de nature sexuelle commis sur la personne sous l’empire de la contrainte »

En 2002, La Cour Pénale internationale   parvient à considérer que le viol systématique pratiqué en temps de guerre comme crime de guerre et crime contre l’humanité. Le jugement de Jean-Pierre Bemba, en 2016, reconnu comme responsable en Centrafrique d’une campagne de violences sexuelles systématiques, a permis de reconnaitre le viol de guerre comme un puissant instrument de guerre.

Le viol de guerre est une arme psychologique redoutable pour faire plier les populations occupées. Le sexe féminin est la première victime de ces atrocités mais, peu relaté car trop honteux, il touche aussi le sexe masculin. Il est encore très difficile de traîner les coupables devant les tribunaux car il faut pouvoir prouver ces atrocités. Et il faut surtout que les victimes parviennent à dire ce qu’elles ont vécu.

Noémie PICOT

Bibliographie

  • Rousselot, Philippe « Le viol de guerre, la guerre du viol ». Inflexions, 2018/2 N° 38, 2018. p.23-35. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/revue-inflexions-2018-2-page-23?lang=fr.
  • Une femme à Berlin 20 avril-22 juin 1945, Paris, Gallimard.
Retour en haut